Évidemment qu'il s'agit d'une pique. Je montrais simplement comment elle fonctionnait et se retournait contre son auteur, en la poussant un peu, même pas très loin.
Je ne suis pas certain que l'effacement progressif de tel ou tel peintre, telle ou telle auteure, ne soit dû qu'à un phénomène de snobisme répondant à un succès commercial. Cela me paraîtrait un peu trop simpliste par rapport aux constitutions des champs, dans le fonctionnement (caricatural ici, mes lectures datent) avant-garde, tas du milieu, réactionnaires. Par contre, je suis d'accord avec toi : HG Wells a marqué la culture occidental a bien des points. Maintenant, en littérature, il n'a pas droit de cité. La critique (elle commence à changer, mais peu, finalement) a statué dessus de la façon suivante : avant 1905, c'est trop génial méga top moumoutte, après 1905, c'est d'la merde. C'est caricatural, certes, mais pas tant que cela. Pour revenir sur le point qui m'intéresse : en question de littérature, sans adjectif ni majuscule, Wells n'est pas considéré. Certes, c'est le grand-papa de la sf, il a inspiré plein de gens de ce côté là, mais dans le travail littéraire tel qu'il conceptualisé par la critique, Wells ne sert à rien. Tandis que Joyce, tout aussi inconnu du public (baromètre : mon expérience, quand je commence à parler de Wells, et que tout le monde me demande "Qui ?" ; il ne faut pas oublier notre position particulière de lecteur, à la marge), pèse lourdement. Le syndrome Proust n'est pas un syndrome. Son travail sur la langue, sur la construction du souvenir, sur l'évocation, est absolument incroyable. Et pourtant, qu'est-ce que c'est chiant passé les 150 premières pages. Décidément, la rupture entre jugement de goût et jugement esthétique n'est toujours pas comprise.
Ces trois questions sont malhonnêtes, à plusieurs niveau. D'abord parce que je n'ai jamais écrit ce que tu sous-entends, du moins dans cette discussion. Ensuite parce que tu refuses la distinction que j'explicite depuis ma première intervention pour réduire ma proposition à l'absurde, enfin parce que tu voudrais me donner une position de tyran de pacotille pour te moquer. Cela dit. Le public n'est pas à même de juger de la qualité intrinsèque d'une œuvre, et ce quelle qu'elle soit, parce qu'il ne possède pas les outils conceptuels pour le faire. Il ne s'agit pas de déférer la faculté de juger à qui que ce soit, simplement de déplacer le jugement au bon endroit. Le public peut exprimer, et exprime, un jugement de goût, qui lui est propre, mais ne peut trancher et dire qu'une chose serait "bonne" ou pas, dans le sens fort de l'adjectif, même s'il le fait constamment, par habitude. Dans un champ donné, ce serait aux habitants du champ à dire si une chose est plus ou moins bonne, plus ou moins belle, plus ou moins vraie, parce qu'ils en posséderaient les tours et retours, les arts, d'une certaine façon. Enfin, n'étant pas apte à juger moi-même et mes jugements ne valant que pour moi, non, je ne souhaiterais pas qu'on me déléguât quelque autorité que ce soit. J'ai déjà du mal à enseigner à cause de cette position, inutile de venir me gâcher la vie encore plus sur mon temps de loisir.
_________________ "All the world's a stage. And all the men and women merely players."
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