Lectures du mois dernier :
Gérard Genette, Figures 1 etFigures 2 :
Du lourd, du très, très lourd mais, et c'est une agréable surprise, du très beau aussi. Une chance, aussi, du très intéressant aussi. Je serais bien incapable de vous dire ce que j'ai retenu de ces deux collections d'essais assez longues, si ce n'est le pouvoir du nom chez Proust, la beauté de la poésie baroque, les jeux étranges du langage ou la grandeur de l'Astrée, d'Honoré d'Urfé. Ah, si, une chose à retenir, une leçon discrète mais partout présente : la littérature ne dit qu'elle-même, de la même façon que le langage ne dit que lui-même. Ainsi, une redéfinition de la posture du critique qui, bien loin de chercher à dégager un sens à la lecture de l'oeuvre, doit plutôt accepter d'être un affleurement délicat qui dit. D'où les très belles pages sur l'Astrée d'ailleurs.
Une lecture que je conseille vivement à tous ceux qui cherchent à faire profession des lettres ou de l'esprit. Absolument nécessaire pour tous les futurs professeurs de français. Et pour tous ceux qui aiment les lettres. A vrai dire, je le conseillerais bien au monde entier, mais je crains qu'il soit nécessaire d'avoir une certaine curiosité amenée pour les lire. Bref.
Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique :
A l'inverse totale de Genette, une écriture légère et compréhensible, jamais sombrant dans le barbant. Petit essai intéressant dont les idées néanmoins aujourd'hui semble bien commune. Il ne faut pas cependant oublier qu'il s'agit d'une introduction, qui donne donc beaucoup de pistes à suivre. J'ai un petit pincement au coeur à évoquer ses conclusions qui me semblent complètement déformées par l'approche psychanalytique qui a fleuri pendant le développement de la pensée de Todorov. Finalement, l'ouvrage est un tremplin agréable, qui ne demande qu'à être défié.
Une lecture, encore une fois, vivement conseillée pour tous les gens aimant les lettres et cherchant à les comprendre un peu mieux. Plus facile d'aspect, il peut aussi donner des outils critiques pour faire comprendre un genre à des étudiants qui n'en démordent pas. Et également à montrer qu'on peut aussi parler littérature sur la science-fiction. Rien que pour ça, c'est cool.
Umberto Eco, De Superman au Surhomme et Lector in Fabula :
1) Je m'attendais, en le lisant, à une analyse qui expliquerait comment les super-héros amènent à la question du surhomme chère au philosophe allemand dont je n'écorcherais pas le nom ici. J'ai été rapidement détrompé. Eco parle surtout de littérature populaire : le feuilleton et le genre rapide. De Dumas à James Bond, Eco esquisse l'éloge de cette petite littérature dont on parle trop peu et en dégage des tropes et des topoï intelligents, avec humour, comme il sait le faire si bien. Je ne lui reprocherais que sa conclusion, très désabusée, qui dénonce les idiots du village comme les surhommes de notre temps. Néanmoins, l'ironie splendide avec laquelle il rapproche Colombo et Derrick de Léopold Bloom, même si non dénuée d'amertume, n'en reste pas moins magnifique.
2) Bien des émois avec ce livre, que j'ai dû essayer de lire plusieurs fois au cours des dernières années et que j'ai toujours laissé tomber très vite. Il a donc fallu un coup de pied au cul pour m'y mettre et quelle découverte ! Premier écueil, Eco y fait oeuvre de sémioticien et emploie, dès lors, un vocabulaire très technique et abscons qui désarçonne le lecteur non spécialiste et le Petit Robert de la langue française 2005 qui en perd son français. Passé ce choc et habitué à inférer le sens du contexte, on plonge dans un essai fort intéressant qui, à mon sens, porte un coup fatal à toutes les conneries qu'on pu raconter les théoriciens de la réception que j'ai dû me taper pour un cours sans trop d'intérêt. Il montre très clairement sous quel rapport peut fonctionner une certaine relation entre le texte et le lecteur et l'auteur, sans discuter les questions de lecteur idéal, modèle, etc. Simplement en prenant appui sur le langage, avec force tableaux clairs, il montre comment les deux mondes nécessitent constamment une adaptation pour être identifiés. Limpide malgré le vocabulaire tordu. Et surtout, les deux chapitres finaux, où il met en acte ce qu'il théorise dans les précédents, sont très amusants, vraiment. Un drame bien parisien d'Alphonse Allais est passé à la moulinette avec beaucoup d'humour et c'est à nous, lecteurs, qu'il laisse le soin de rire un peu en comprenant le suprême tour de la nouvelle du même auteur, Les templiers
Deux livres forts différents, s'adressant à deux publics finalement assez différents, mais qui se complètent bien. Faire de la littérature avec l'anti-littérature ou faire apprécier la littérature par l'imagination ? Encore une fois, à lire et à relire pour l'édification personnelle et l'envie de transmettre cette passion des mots qui se sent sous chaque phrase d'Eco. A mettre sur le même plan que Si petites promenades dans le bois du conte et d'ailleurs (sic, je cite de mémoire) dont je parlerai ici quand j'aurai remis la main dessus.
Stendhal, Le Rouge et le Noir :
J'ai lu ce livre voici fort longtemps, au lycée en classe de seconde, programme imposé par le professeur tyrannique à demi-chauve. Je ne me souvenais plus de rien, c'est dire si je l'avais apprécié. Fatigué de lire de la théorie ou de l'anglais, je me suis replongé dedans par envie de lire du joli français. Je n'ai pas été déçu. Stendhal manie la langue comme peu d'auteur, et préfigure, d'une certaine manière dans ce roman, la légèreté soyeuse et liquide de Barrico dans Soie. J'ai été subjugué par ce livre, du début jusqu'à la fin, malgré le temps que j'ai pris à le lire, savourant chaque mot comme autant de note. Stendhal possède tout : le sens de la formule, la brièveté agréable du style, la beauté de l'ensemble et la pureté de chaque instant. Même si l'histoire est finalement assez simple, il ne rallonge jamais, ne dilue pas et se contente de faire avancer ce miroir qu'est le roman le long du chemin de Julie Sorel, qui naquit fils de charpentier et failli mourir noble. Je ne vous résumerais pas plus.
Un livre à ne pas mettre en toutes les mains, car il est nécessaire d'avoir déjà un goût de certaines lettres pour pouvoir l'apprécier. Il doit être découvert précieusement, avec lenteur, comme des chocolats trop forts parce que trop purs, pour véritablement être apprécier, une fois seulement que le palais s'y est habitué. Néanmoins, un chef-d'oeuvre, tellement rassurant après l'aridité de bien des critiques et les bêtises anglaises.
_________________ "All the world's a stage. And all the men and women merely players."
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