saverne a écrit:
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas étonnant que le fond et la forme des cours fassent toujours aussi souvent la une de l'actualité, comme on le voit encore en ce moment, l'histoire/géo bénéficiant généralement d'une dose de polémique en plus vu son rôle. Il parait que les profs sont habitués.
L'un des problèmes de l'enseignement et des réformes touchant à l'enseignement, c'est que tous les parents ont forcément un avis sur les programmes et les réformes, parce que de 1/ ils ont été élèves il y a x années, donc forcément ils savent mieux que quiconque comment ça se passe en classe, de 2/ c'était mieux à leur époque parce qu'ils ont tous la certitude d'être meilleurs, supérieurs etc. que les autres et que cela est dû à leur propre expérience et vécu, et donc à la façon dont ils ont été éduqués à l'école, bref, et de 3/ ils ont lu les programmes, non pas à la source hein, mais via des journaux genre Causeur, Le Figaro, l'Humanité, ou Libé, donc clairement ils savent très bien ce qu'il se passe dans les programmes et ce que font les enseignants en classe (souvent, il suffit de lire le titre de l'article pour comprendre ce qu'il se passe dans une classe, comme par exemple le dernier article de Causeur, au sujet de la démission de Michel Lussault, titré "Ecole: la dernière chance ?" ou "Ecole: fin de récré pour les pédagos ?"...).
Et, en effet, en histoire/géographie, les réformes sont toujours passées au crible des journaux orientés parce que ces derniers savent que, pour faire simple, leurs idiots de lecteurs vont acheter tout article qui montre que :
- les nouveaux programmes d'histoire apprennent des trucs sur d'autres civilisations, les femmes, les noirs et les arabes, au détriment de l'histoire de France (ça c'est pour les journaux de droite) ;
- les nouveaux programmes d'histoire ne font pas apprendre des trucs sur d'autres civilisations, les femmes, les noirs et les arabes, préférant une histoire européo-hétéro-phallo-centré (ça c'est pour les journaux de gauche) ;
- la somme des connaissances et des méthodes évaluées dans les tests internationaux, ou au bac, est inférieure à la moyenne d'il y a x années, ou de tels autres pays (ça c'est pour l'Express, le Point, et tous journaux d'économie-business-management, etc.).
Faut vendre des journaux à la masse... et à l'ère des mass media numériques, quelques articles au titres bien sentis suffisent à générer le nombre de clics suffisants.
Plus sérieusement, en fait, lorsqu'une réforme de l'enseignement est appliquée, il faudrait former les parents qui sont les premiers à ne rien comprendre des changements, autrement que par le fait que c'est différent de ce qu'ils ont appris quand ils étaient petits. Forcément, comme ils ne comprennent rien ou ne veulent pas faire l'effort de comprendre, lorsqu'ils font les devoirs avec leurs enfants (quand il y en a, des devoirs) ils comparent avec avant, et râlent sur les différences apparentes ("nous on lisait comme ça, pas comme ça", "nous on apprenait les dates de ça et ça... on faisait pas des textes pour raconter des trucs comme ça", etc.).
Tu pointais du doigt le cas de l'apprentissage spiralaire, Saverne. Cela nécessite pas mal de formation pour les nouveaux enseignants ou de mise à niveau pour les anciens (lorsqu'ils ne sont pas des vieux profs râleurs nostalgiques d'avant Internet), mais cette approche est clairement en phase avec les neurosciences et les différentes phases de la transposition didactique.
Dans la mesure où le "savoir savant" se retrouve instantanément sur internet en quelques clics et peut être fait par les plus élémentaires programmes actuels (type IA), réduire un peu son apprentissage au détriment de méthodologies variées et d'un peu plus d'exercice de réflexion, bref de "savoir faire", s'avère logique et même nécessaire. Dernièrement au Japon, une IA a enregistré une somme de connaissances "fondamentales" et a passé l'examen d'entrée à Todai, et a eu des résultats supérieurs à 80% des étudiants... pourquoi ? parce que ces examens d'entrée sanctionnent surtout la mémorisation (comme ce que veulent la majorité des râleurs qui critiquent les derniers programmes de l'enseignement)...
"Dans la conclusion de cette conférence, Noriko Arai se dit plus « inquiète » que satisfaite de ces résultats. Pour se distinguer de l’intelligence artificielle, « les étudiants ne devraient pas se contenter d’ingérer des tonnes de connaissances par cœur pour ensuite les réciter dans leurs copies ». Ils doivent se concentrer sur la « compréhension et sur le sens », poursuit la chercheuse, qui appelle à repenser le rôle de l’éducation dans ce contexte. « Il nous faut réfléchir consciencieusement à comment nous allons pouvoir coexister avec l’intelligence artificielle. Et il nous faudra penser vite », tranche-t-elle." (Le Monde)
Moralité, les dernières réformes sont vraiment intéressantes et porteuses de sens. Mais elles se sont heurtées à :
- un corps enseignant syndiqué qui y a vu un prétexte pour critiquer le gouvernement précédent ;
- un corps enseignant qui a été bousculé par ces changements dans leurs pratiques enseignantes, pratiques qui n'ont guère changé depuis la fin du XIXème siècle (un tableau, des tables bien rangées devant l'enseignant, debout devant sa classe, qui donne son savoir)... Pour ces enseignants, la pluralité des modes d'apprentissage contenue dans ces nouveaux programmes n'est qu'une énième réforme, qu'une énième tentative de politiques de laisser leur empreinte dans l'histoire via les réformes de l'enseignement... Une de plus, une de moins, pas besoin de se fatiguer outre mesure pour ce que cela servira... ;
- un corps enseignant qui réalise très, très difficilement le changement de paradigme qui touche la société actuelle : le numérique, internet dans la poche des élèves, des gamins plus chiants/actifs (selon le point de vue) qu'avant. Du coup, ce corps enseignant attend surtout des réformes sur la forme et non sur le fond : moins d'élèves en classe, plus de matériel, plus de discipline, plus gros salaire, etc. ;
- des parents qui n'arrivent pas à suivre ces changements non plus, et dont le scepticisme a été alimenté par les médias au cours des deux dernières élections présidentielles ;
- une mise en oeuvre, par les enseignants, très laborieuses car : manque de moyens financiers (il faut des heures payées en plus pour mettre en oeuvre les réunions entre matière pour réaliser les EPI), manque de temps pour réorganiser et refonder tous les cours, manque de recul sur les pratiques (un changement de programme sur 4 niveaux d'un coup (pour le collège)... c'est juste énorme... en 2009, la précédente réforme s'était étalée sur 4 ans, niveau après niveau)) ;
- et j'en oublie certainement.
Je pourrais encore en parler des heures de la réforme du collège qui n'a pas été lue par la plupart de ses détracteurs, pas comprise par une majorité des collègues du lycée, et mal mise en oeuvre par les collègues du collège non pas par résistance, mais surtout par faute de soutien du gouvernement et de la société.
Je pourrais encore m'agacer des remarques que je lis sur les réseaux sociaux et dans les commentaires des journaux qui critiquent ce fameux Michel Lussault que je lis et pratique depuis plus de dix ans, et dont je connais la clairvoyance et la finesse d'esprit, même si je n'adhère pas à toutes ses positions politiques.
Quel gâchis.
Mais bon, comme le disait Ellul, les gens ne réagissent pas aux actions politiques qui ont un impact dans un temps moyen ou long. Les gens sont dopés par les mass médias, et n'attendent des politiques que des actions efficaces et immédiates.
Une réforme de ce genre, n'est pas efficace à court terme. Ce que les gens veulent à court terme, ce sont des élèves bien élevés, avec une tête bien pleine, dans des classes à effectif réduit, où leurs enfants pourraient s'épanouir sans harcèlement, et revenir à la maison sans trop de devoirs ou de choses à apprendre parce que ça les rend chiants, et qu'en tant que parent, quand je rentre du boulot le soir, j'ai la flemme d'être en conflit avec mes gamins pour les faire étudier.
