"L’art est long, la vie, courte, le discernement, difficile, l’occasion, fugitive.
Agir est aisé, penser est difficile; mettre à exécution sa pensée est pénible.
Tout commencement est agréable; le seuil est la place d’attente.
L’enfant s’étonne; l’impression le détermine; il apprend en jouant; le sérieux le surprend.
L’imitation nous est naturelle: ce qu’il faut imiter n’est pas facile à reconnaître.
Rarement on trouve l’excellent; plus rarement on l’apprécie.
Les hauteurs nous attirent, mais non les degrés: le regard fixé sur les sommets, nous marchons volontiers dans la plaine.
On ne peut enseigner qu’une partie de l’art: l’artiste a besoin de l’art tout entier.
Qui ne le connaît qu’à demi s’égare toujours et parle beaucoup;
qui le possède tout entier ne se plaît qu’à l’exercer et parle rarement ou tard.
Les premiers n’ont aucuns secrets et aucune force;
leur doctrine est comme le pain cuit, savoureuse et nourrissante pour un jour:
mais on ne peut semer la farine, et la semence ne doit pas être moulue.
Les paroles sont bonnes, mais ce n’est pas le meilleur: le meilleur ne peut s’exprimer par les paroles.
L’esprit, qui nous fait agir, est ce qu’il y a de plus éminent.
L’action n’est comprise et reproduite que par l’esprit.
Personne ne sait ce qu’il fait, quand il fait bien; mais nous avons toujours conscience du mal.
Celui qui n’agit que par signes est un pédant, un hypocrite ou un barbouilleur.
Il y a beaucoup de ces gens-là, et ils s’entendent fort bien ensemble.
Leur bavardage arrête le disciple, et leur opiniâtre médiocrité tourmente les meilleurs.
L’enseignement du véritable artiste révèle la pensée, car, si les paroles manquent, l’action parle.
Le véritable élève apprend à démêler l’inconnu par le connu et s’approche du maître."~ Goethe, Wilhelm Meister, chap. IX (lettre d'apprentissage).
(
https://www.youtube.com/watch?v=ZymqpElep-Y)
~ Prologue ~
On se souviendra de comment s'achevait l'histoire de la plus grande quête de l'humanité,
sous forme de l'idéal prométhéen :
La ballade de Desdinova.
Ceci en est la deuxième partie.
Je ne vous remercie pas pour me lire, je vous en félicite :
de nos jours, il est devenu si difficile de prendre son temps,
de comprendre, d'apprendre, de ce qui nous est le plus étranger.
De ce qui nous est le plus étrange, aussi.
Ores donc, bonne lecture au Royaume de l'Etrange et
Latcho Drom.
~ Votre Très Dévouée, Sen Takatsuki.
Le "monde du futur", dans bien des dystopies, est
cyberpunk dans son idée.
Il est remarquable que dans toute œuvre dépeignant une dystopie,
la philosophie prend une tournure humaniste : "L'humain avant tout" (Appleseed), tandis que la technique est dangereuse (Terminator).
La réalité nous montre plutôt le contraire : la philosophie menée à terme est pessimiste,
tandis que la technique nous protège de la nature (y compris de la nature humaine).
Note : le
cyberpunk est davantage un courant esthétique qu'une philosophie.
La laideur de l'esthétique
cyberpunk vient essentiellement de ce que l'on ramène les fonctions organiques à des mécanismes :
la plus grande complexité structurelle possible est nécessaire à la plus petite simplicité fonctionnelle.
L'énergie vitale est obtenue par des moyens compliqués à mettre en oeuvre, sales, polluants et crasseux.
Ce qui fait l'effet d'une impression de souffrance et de lourdeur, de sérieux, de difficulté, de gravité, de liberté contrainte.
La sensibilité et l'amour sont comprimés, le libre arbitre est inexistant, la nature ne parvient pas à s'exprimer.
Zalem représentait la caste médicale.
La Décharge représentait un monde instable rendant toute capacité d'apprendre impossible.
La 'dynamique du karmatron' était un moyen terme entre les affinités chimiques et la théorie des causes finales d'Aristote,
une explication à l'absence de proportionnalité entre l'action et la réaction.
Nova venait de Zalem, il ne pouvait donc pas justifier la Décharge :
il ne faisait qu'annoncer la possibilité d'une rédemption, mais il ne l'incarnait pas.
Desty Nova est le Nikola Tesla de ce futur dystopique tel qu'il est dépeint dans
Gunnm,
la nanotechnologie qu'il utilise est un véritable miracle pour les habitants de la Décharge.
Dans une esthétique
heroic fantasy inspirée du Moyen Age, il serait sûrement un nécromancien.
Le Pr Nova était pourtant le seul, à être en mesure, par ses recherches sur la vie, de
trouver des vérités métaphysiques.
C'est ce que traduisaient ses expériences visant à ressusciter les morts, à briser les cycles du temps, à éteindre les aspirations du karma.
Mais, par la faute des limites intellectuelles de son auteur et de ses lecteurs, il a échoué.
"L'erreur des nanotechnologies est la croyance selon laquelle les propriétés de la matière varient selon ses dimensions.
C'est une erreur de chimiste, qui s'en remet à l'arrangement des atomes ou à la structure des molécules, pour expliquer leur nature.
La maîtrise du karma (la causalité), n'était qu'une étape, la compréhension d'une illusion.
Les deux premières étant : la maîtrise du yuga (le temps) et celle de l'akasha (l'espace).
Car, ainsi que nous l'a enseigné l'illustre Kant, l'idéalité de la causalité ne saurait se concevoir sans celles du temps et de l'espace.
Mais il y en a bien d'autres encore : mana (l'esprit), prana (la force), samsara (l'existence), maya (la réalité), yatna (la volonté)...
Reconnaissez-vous là quelques unes des gemmes de Thanos à travers l'optique de l'idéalisme transcendantal hindou ?"Note : les nanosciences professent exactement les mêmes erreurs que jadis l'homéopathie de l'alchimiste Paracelse :
plus c'est dilué, plus ça agit : "la dose fait le poison".
L'erreur grossière d'ignorer les causes finales, c'est-à-dire les excitations dans les organismes vivants
(par exemple le phototropisme des plantes), enseignées déjà par le naturaliste Aristote il y a plus de 2000 ans.
L'empirisme du savant fou en cette matière ne devait avoir qu'un but : celui de fonder une téléologie,
parce que celle-ci ne peut se concevoir a priori.
Certes, le Pr Nova n'est pas le seul scientifique de bandes dessinées à s'enquérir de recherches métaphysiques.
Il y a eu un autre personnage majeur, dans les
comics cette fois, qui a eu de réelles dispositions à les atteindre.
C'est de ce personnage dont je vais à présent faire l'apologie.

~
Human Beings. ~
Je pars du principe que mes lecteurs ont lu le
cross over des Guerres Secrètes :
Secret Wars (1984).
Dois-je vous en avertir sur les spoilers qui font suivre ?
Il ne s'agit pas tant ici d'une réécriture que de pousser plus avant les idées de ses auteurs.
Voyons plutôt si nous atteignons ce que nous annonçons, nous autres artistes plumitifs.
Battle World est un lieu qui rend possible les rêves des personnages par leur seule volonté, une
Dream Planet :
Thor exulte de joie face aux éléments, Ben Grimm redevient humain, Spider Man a un nouveau costume surpuissant,
Hulk retrouve l'intelligence de Banner, le Pr Xavier marche, Captain América reconstitue son bouclier par la pensée...
Même chose pour le Dr.Doom avec le passage dans la forteresse transformée en
Doom Base,
avec une "
alien technology so rich, so subtile, so easily harnessed to serve my purpose".
Même chose, enfin, pour Galactus, le Dévoreur des Mondes, qui invoque son vaisseau de la taille d'un système solaire pour le dévorer (!)
et finalement dévorer la planète du
Beyonder.
Abordons maintenant le concept du
Beyonder.
"I am from Beyond.
Slay your enemies, and all you desire shall be yours.
Nothing you dream of is impossible for me to accomplish."Cela n'évoque-t-il pas la thèse de Schopenhauer sur la Volonté :
'bellum omnium contra omnes' ?
Immédiatement, nous (je parle des plus cultivés, les autres ont déjà depuis longtemps passé leur chemin)
vient à l'esprit la preuve physico-théologique :
"Le monde présent, qu’on l’explore dans l’infinité de l’espace ou dans la division illimitée à laquelle il peut donner lieu,
nous propose un théâtre si incommensurable de diversité, d’ordre, de finalité et de beauté que,
même à travers les connaissances que notre faible entendement a pu en acquérir, tout langage,
confronté à des merveilles si nombreuses et si infiniment grandes, se sent privé de ses capacités d’expression,
tous les nombres perdent leur puissance de mesure et même nos pensées ne parviennent plus à tracer aucune limite,
si bien que notre jugement porté sur le tout ne peut que se dissoudre en étonnement muet, mais d’autant plus éloquent.
De tous les côtés, nous voyons un enchaînement d’effets et de causes, de fins et de moyens,
une régularité dans la génération ou dans la corruption des choses;
et puisque rien n’est parvenu de lui-même jusqu’à l’état où il se trouve,
il renvoie encore et toujours à une autre chose comme constituant sa cause, laquelle rend nécessaire à nouveau,
exactement la même question, en sorte que, à supposer que l’on continuât ainsi,
le tout dans son intégralité sombrerait inévitablement dans l’abîme du néant, si l’on n’admettait quelque chose qui,
extérieurement à cette infinité de choses contingentes, trouvant par soi-même originairement et en toute indépendance sa consistance, servît de support au contingent et lui assurât, comme cause de son origine, également sa durée.
Cette cause suprême (relativement à toutes les choses du monde), comment en penser la grandeur ?
Nous ne connaissons pas le monde dans son contenu intégral;
encore moins savons-nous apprécier sa grandeur par comparaison avec tout ce qui est possible.
Qu’est-ce qui nous interdit toutefois, puisque nous avons besoin, du point de vue de la causalité, d’un être suprême et ultime,
de le situer en même temps, quant à son degré de perfection,
au-delà de tout autre possible ?"
(Kant, sur l'impossibilité de la preuve physico-théologique)
Or, et c'est là le point le plus important, le Dr.Doom est le seul personnage à apercevoir cette illusion :
He is the real enemy ! "Slay your enemies...!" He said, but, in truth, the Beyonder reflects upon this thing, desire.Il est donc de facto le seul qui refusera de jouer le jeu du
Beyonder :
"We must not play this game ! We must not fight ! (...)
We have seen the power to end and begin universes... And you dwell on cheap lust for your selfish desires ? (...)
Ignore your petty dreams ! To fight is to prove we are but microbes on a slide ! We must transcend ourselves !"C'est ici que j'esquisse une scission avec l'histoire originale.
Définitivement : "
Beyonder = force of will = sheer desire".
Pour être cohérent, le scénario devait s'en tenir à faire du
Beyonder une projection du désir, et non un extra-terrestre surpuissant.
Le
Beyonder est l'égoïsme de chacun des personnages, et peut-être de la planète elle-même,
qui s'exprime grâce à la
Dream Planet qui rend visible la volonté.
A l'opposé, si, à la manière des auteurs, je fais du
Beyonder un objet physique, un extra-terrestre,
tout ce qui va suivre n'a plus aucun intérêt, tout devient jeu de puissances, et le cross over s'abîme en concepts matérialistes.
Dans tout ce que j'écris, je mets donc de côté toutes les parties qui ont suivies et fait du Beyonder un extra-terrestre surpuissant,
parmi d'autres. Pour ne rien dire de la façon dont le personnage a été traité dans l'anime
Avengers.
Je ne m'attache qu'à l'essence du scénario originel, tel qu'on doit le comprendre pour en faire une œuvre immortelle,
pas un plat façon
fan service que l'on sert à des tarés et à des générations débiles.
Note : ce n'est que justice pour un peuple d'abrutis qui se targuent toujours d'être des positivistes en matière de science,
d'être aussi arriérés pour tout ce qui touche à la métaphysique.
Ou le monde est l'oeuvre d'un hasard aveugle, ou c'est une intelligence ordonnatrice qui, agissant du dehors,
l'aurait créé suivant des fins et des idées.
En proposant une troisième voie, Doom dépasse d'un coup tous les autres.
Mais cela ne sera rendu plus clair qu'en se rapportant aux lignes qui vont suivre.
Allons plus loin dans le scénario.
Moins on a de super-pouvoirs, moins on sera tenté de résoudre ses problèmes de manière simpliste
(c'est d'ailleurs le point faible de toute cette littérature, et une des raisons pour lesquelles, passé un certain niveau de maturité,
on tourne la page : la télépathie dispense de psychologie, la télékinésie dispense de connaissances des lois physiques).
Si l'on excepte ses connaissances en magie, le Dr.Doom n'a pas de super-pouvoirs : c'est un être humain.
Il s'inspire de l'Homme universel de la Renaissance,
c'est-à-dire qu'il a une vraie manie de vouloir ressentir les choses comme un européen de cette époque,
le monde moderne lui paraît mièvre en comparaison.
Si je devais définir son caractère, plutôt que d'utiliser le mot-valise de
'will to power',
je dirais qu'
il refuse le pathétique et qu'il idéalise l'épique.
Mais dans son désir de connaissance, la partie primordiale c'est bien plus le désir que la connaissance :
sa capacité d'apprendre est supérieure à un apprentissage sur une durée déterminée,
il est toujours capable d'expérimenter et vaut davantage que celui qui a expérimenté à un instant t.
Petite parenthèse.
Ici est la différence majeure avec un autre super vilain de premier ordre : Thanos.
Je vous passe les détails de la comparaison telle que l'envisage le blogueur de base,
qui ose faire des sites web sur le sujet, en reprenant tous les moments où il peut comparer les niveaux de puissance entre les deux personnages.
C'est à peu près de la même façon que les ritualiens analysent les persos dans
One Punch Man.
Quand comprendrez-vous que les nivaux de puissance ne signifient rien dans un manga où le personnage principal est au-delà de toute puissance physique ?
Quand comprendrez-vous enfin que pour être appréciée, il faut creuser la psychologie des personnages ?
Parce qu'elle a balayé le plus large dans l'éventail des états d'esprit qu'il est possible d'atteindre dans l'univers de OPM,
l'excellente Psykos est actuellement le personnage le plus intéressant.
Comparer les niveaux de puissance est sûrement une réminiscence de l'enfance, de la gent masculine particulièrement,
peut-être un lointain souvenir de colonies de vacances ou de dortoirs.
Mais pour nous qui ne ramenons pas tout à la taille de notre zizi,
une telle façon d'analyser et de jouir d'une lecture nous apparaît singulièrement naïve, voire débile sur les bords.
Ma thèse est la suivante : l'art littéraire (comics et mangas inclus) renaîtra du jour où il sera donné à ses lecteurs de s'identifier,
non aux actes de ses personnages, mais à ses propres sentiments à travers eux.
En d'autres termes : je veux pour la littérature ce qui est pour la musique.
L'art est identification.
1/ Thanos est d'abord un guerrier :
Au Royaume de la Mort, il trouve dans le Puits de l'Infini le secret de la puissance.
Les gemmes d'Infinité ne lui sont que prétexte à des combats épiques.
Dans l'ordre, il affronte : les gardiens des gemmes, les super-héros, les déités cosmiques, enfin Infinité lui-même.
Ce combat mené à son terme, il entre dans l'extase du guerrier accompli en ne faisant désormais plus qu'un avec la réalité.
Et c'est à ce moment de faiblesse qu'il se fait voler son gant par Nébula.
2/ Je conçois Galactus comme une force naturelle, à laquelle l'entendement des personnages donne un corps.
Il existait avant le Big Bang.
Galactus est un trou noir, il personnifie la gravité, qui considère d'un même œil Hommes et planètes.
Or, Thanos l'affronte directement. Comme un titan le ferait avec un élément.
Par contre, dans chacune de ses apparitions, le Dr.Doom ne cherche pas à affronter Galactus, mais à l'utiliser :
"Knowledge... Power... Opportunity ! A way to conquer Galactus... And, perhaps the Beyonder as well !"Scénaristiquement parlant, pour être en accord avec le caractère des personnages, c'est là une différence essentielle :
en dépit de son intelligence surhumaine, Thanos reste un titan qui ne conçoit pas qu'on puisse chercher à comprendre une force de la nature.
3/ "Thanos reste Thanos".
Le potentiel du Dr.Doom, un être humain, est supérieur à celui de Thanos, un titan, qui est mais ne devient pas.
Certes, son grand fait d'armes est d'avoir conquis le Cube Cosmique et les Gemmes d'Infinité "âme, force, réalité, temps, espace, esprit";
mais ces concepts sont limités.
Il adore la Mort, cela signifie qu'il croît à l'entropie :
comment dès lors pourrait-il concevoir une volonté commune à toutes choses, hors de l'entropie ?
Et c'est bien ce qu'est le Beyonder 'l'Au-Delà'.
Le Dr.Doom nie la mort : " I do not fear death", "I deny you, death !"
Thanos ne niera jamais la Mort, même dans ce qu'elle signifie de plus métaphysique.
Pour ces trois raisons, je préfère et surtout, m'identifie, plus facilement au Dr.Doom qu'à Thanos.
Il y a plus.
De mon point de vue, le sentiment de la puissance ne peut absolument pas être donné à travers ces personnages au sourire forcé,
à l'air courroucé, entourés d'émanations énergétiques de toutes espèces.
Ils font seulement l'impression d'une dévaluation de leur environnement au privilège de leur gros égo.
Les forces contraires qui s'agitent et contre lesquelles ils luttent ne sont que des prétextes pour affirmer ce qui ne varie pas en eux :
le caractère surhumain de ces personnages, lui-même incarnant la vie.
En dépit de son armure high tech et de son masque à tête de mort, de son tempérament excessif porté à la connaissance,
de son immoralité, de sa capacité à duper les plus grandes forces de l'univers (Galactus, le Surfer d'Argent, le Beyonder, ...),
Doom reste un être humain avec ses faiblesses.
Il est excellent comme personnage propre à nous éveiller à l'émotion philosophique :
au plaisir d'aller d'une vérité particulière (empiriste) à une vérité générale (universelle),
à éveiller le sentiment d'impuissance de l'imagination à se figurer l'idée d'un tout.
Au contraire d'un personnage comme Thanos, qui, même au prix d'une lutte épique contre des forces qui dépassent l'humain,
finit par les surmonter par la force ou par la ruse.
Mais le Titan ne varie point. Ni en bien, ni en mal.
"Thanos reste Thanos".
Ceci peut amener, à la rigueur, une prise de conscience par une tournure allégorique d'une lutte éternelle.
Mais, qu'il s'agisse de caractère, de ruse ou d'intelligence, il n'y a là que des instruments d'une même volonté.
Le lecteur ne peut s'émouvoir à imaginer de telles forces, si le héros auquel il s'identifie les surmonte.
Ces forces surnaturelles ne permettront que de mettre en exergue des qualités qu'il possède déjà en lui.
Le gros lecteur prendra alors conscience qu'il est, tout comme Thanos, sujet à de gros besoins d'existence.
Comme héros d'une Quête, par exemple
Infinity Gauntlet, Thanos peut faire un bon personnage épique,
mais il ne fera jamais un personnage tragique.
Une autre manière permise à un personnage de sa trempe, est de l'utiliser comme levier pour éveiller le sentiment du pathétique,
en le mettant en opposition avec de pauvres mortels, auxquels il se confronte, ou dont ils observera de loin,
ainsi qu'il convient à un titan millénaire, les agissements pitoyables; comme dans le film
Avengers.
Mais, dans un cas comme dans l'autre : "Thanos reste Thanos".
Je ne fais qu'indiquer ici brièvement ma position sur les écrivains esthètes du XXIème,
qui se plaisent à faire dans le genre
heroic fantasy.
A eux de prendre la défense de leurs personnages préférés s'ils s'en sentent capables.
Mais, de grâce, épargnez-nous ces comparaisons qui en appellent aux niveaux de puissance,
ces petits faits (scans à l'appui), sur lesquels les forumers font beau jeu de déblatérer à tout va et sur lesquels ils fondent leur croyance.
Fin de la parenthèse.
Le Dr.Doom symbolise la limitation intellectuelle de l'Homme en face de forces qui le dépasse.
Mais il est capable d'apprendre et par suite de comprendre cette puissance.
C'est dans l'Homme que la notion de liberté atteint son plus haut développement : il a le sentiment de liberté le plus fort du règne animal.
En lui se trouve aussi la possibilité de l'art, de l'idée.
Enfin et surtout en lui s'exprime le besoin métaphysique, au-delà du physique, des sens, de la causalité,
allant jusqu'à la négation de la mort.
Les sentiments trouvent, dans la forme humaine, leur moyen d'expression le plus puissant : les passions.
C'est donc dans un être humain que le
Beyonder doit s'incarner pour faire valoir pleinement sa potentialité.
Concluons.
Le Dr.Doom est en réalité le véritable héros du
cross-over.
Il incarne rien moins que le génie européen du point de vue américain.
Mais il ne faudrait pas le limiter à une symbolique des 'post docs immigrants'.
Il réunit les capacités en ingénierie de Tony Stark aux talents de magicien de Stephen Strange.
Science est Perfection, tel est l'esprit rationaliste de la Renaissance incarné par Doom,
dont toute l'énergie de son esprit est appliquée à se transformer en engrenage.
Pour nous, qui le concevons comme un maniaque de la Renaissance, bloqué intellectuellement entre le Moyen Age et les Lumières,
nous en faisons la synthèse de Léonard de Vinci et de César Borgia.
Le Dr.Doom reprogramme Ultron en garde du corps, et l'équipe d'un désintégrateur contre Kang
(Kang est différent de Doom sur ce point, qu'il est issu d'un monde sans Moyen Age, tandis que Doom est l'héritier du Moyen Age)
et Thor. Thor est un dieu, en tant que tel, sa raison d'existence est dans la lutte puis la domination des éléments (foudre, tonnerre).
Au milieu du récit, son danger est de se faire atomiser par le nouveau désintégrateur perfectionné par Doom, d'Ultron.
Note : Cela ne vous évoque-t-il pas la notion de l'atome par les 2 plus grands négateurs des dieux de l'Antiquité :
Démocrite qui fractionne la nature plutôt que d'en faire une abstraction, et Epicure qui ne se soucie pas des dieux ?
La science contre la théologie.
Dès le début du
cross over, il demande à Molecule Man de faire léviter Ultron, devenu trop agressif avec les organismes vivants,
vers Galactus, pour que celui-ci absorbe son énergie.
Ensuite, il suit Galactus lorsque celui-ci part affronter seul le Beyonder.
"What secrets I might learn ...! What power could be mine ...!"Il fait des lentilles avec le corps de Klaw pour canaliser le pouvoir de Galactus dévorant son propre vaisseau-monde;
dévie le pouvoir du vaisseau de Galactus; et enfin vole le pouvoir du
Beyonder.
C'est un stratège hors pair mais ses ambitions de dictateur signifient qu'au lieu de subordonner la conquête à la connaissance,
il connaît en conquérant.
Il est plus semblable aux Romains qu'aux Grecs.
Il est plus proche de l'architecte Vitruve que du philosophe Platon : théorie => pratique, art => science, beauté => utilité.
Il dépasse les compétences techniques d'Archimède, pense comme l'européen de la Renaissance, est à la fois scientifique et magicien,
mais il ne se débarrasse pas de son armure, il ne s'élève pas au dessus du code d'honneur des chevaliers, de la féodalité.
Par sa personnalité intense, Doom incarne l'optimisme révulsant de la Renaissance, qui courrait de l'âge d'or de Venise à celui de Versailles.
Mais il n'atteint pas aux vérités métaphysiques, au méta-scientifique.
L'héritier de la sagesse hindoue, qu'il aurait dû connaître via les Zéfiros, ses ancêtres gitans, premiers indo-européens,
n'aurait jamais dû renier ses origines.
Et finalement il ne surmonte pas le grand problème d'où il tire son nom : le fatalisme transcendant.
En d'autres termes, c'est un matérialiste.
~ Epilogue ~
A quand remonte votre dernière grande lecture ?
J'entends une vraie lecture tonifiante, édifiante, surprenante, étonnante, qui vous bouleverse intérieurement,
qui remet en cause tout ce que vous croyez savoir de la vie ?
Je ne doute pas qu'il faille remonter loin.
C'est qu'entre temps le lecteur a mûri, il ne goûte plus autant les vues qui l'avaient charmé du temps de sa primeur.
Or, j'affirme que si des personnages comme Desty Nova et Doom avaient été utilisés comme leviers pour des questions métaphysiques,
ils auraient suscités l'émotion tragique qui les auraient rendus immortels.
Même des années après, ils auraient eu le même effet, aussi bien sur les adultes que sur des tas d'
enfultes.
Au lieu de cela, des réalisateurs malintentionnés, en bons moralisateurs et donneurs de leçons à la petite semaine,
se sont contentés d'utiliser la puissance des super-vilains pour nous éveiller au sentiment du pathétique,
et servir de la boustifaille indigeste sur grands écrans à destination des masses.
Cela permet peut-être à des acteurs médiocres de se faire un nom auprès d'une race débile
(ceux qui s'autoproclament 'les geeks' ou les 'intellos'), mais à la vérité, il n'y a là qu'un nouveau mode de consommation.
C'est maintenant le lieu de faire de Doom un véritable personnage tragique et de dépasser, de loin, les limites de ses auteurs.
Ces conceptions métaphysiques dont nous attendions les prémisses, c'est d'elles dont nous allons nous expliquer à présent.
"Car la raison humaine, poussée qu’elle est par son besoin propre,
sans y être pour autant portée par la simple vanité d’accumuler le savoir, ne cesse de se préoccuper de ces questions,
qui ne peuvent être résolues par aucun usage empirique de la raison ni à partir de principes qui en procèdent;
et ainsi y a-t-il eu effectivement chez tous les hommes, à toute époque, dès lors que la raison, en eux, s’élargit jusqu’à la spéculation,
une dimension de métaphysique, qui subsistera aussi toujours." (Kant,
Critique de la raison pure)
https://www.youtube.com/watch?v=_sHsuRZCmcoOn ne se s'étonnera pas de voir le lien que nous pouvons faire entre le Pr Nova et le Dr.Doom :
pour l'un la doctrine du karma et comment la surmonter, pour l'autre le fatalisme et le destin.
Que pouvait-on souhaiter de mieux à des physiciens de génie que de nous révéler le secret de la signification de toutes choses ?
Ces recherches sont les plus difficiles à comprendre, elles sont réservées aux plus grands scientifiques de tous les temps.
Ces deux-là avaient tout pour résoudre ces questions métaphysiques qui agitent depuis toujours le genre humain.
On était en droit d'attendre, à travers le personnage du Dr.Doom, les pensées scientifiques les plus originales de l'univers Marvel.
Penser avec lui et à sa façon, s'élever à un degré tout particulier de réflexion, voire de nous-même, tout son personnage y conduisait.
Mais il a échoué dans le matérialisme moderne et n'a jamais été capable de s'élever à des conceptions plus idéalistes,
entendues au sens philosophique du terme.
Kant avait définit la métaphysique "la science de ce qui est au-delà de tout expérience possible",
est métaphysique ce qui n'est pas un objet ni dans le temps ni dans l'espace.
Schopenhauer nous enseignait que la métaphysique n'est pas de passer au-delà de l'expérience, mais de comprendre à fond l'expérience.
C'est donc de ce genre de personnage, ce Faust du XXème siècle, dont j'attendais ce genre de phrases :
"Les lacunes de notre connaissance ont leur raison,
non pas en ce que nous ne connaissons pas suffisamment les objets,
mais dans la nature même de cette connaissance.
Par conséquent, c'est en partant de nous-même qu'il faut chercher à comprendre la Nature,
et non pas chercher la connaissance de nous-même dans celle de la nature." (Schopenhauer)
En vain, chez les savants fous de toutes espèces du XXIème, on cherchera une seule réflexion de ce genre.
C'est que la science fiction s'en tire à bon compte en faisant comme si l'idéalisme transcendantal n'existait pas.
D'où ses paradoxes à n'en plus finir (par exemple dans
Doctor Who, qui fait du temps un objet physique).
Il n'y a dans l'univers ni création, ni perdition.
La théorie du Big Bang affirme qu'à un instant donné, à un endroit donné, tout l'univers s'est de lui-même crée.
Qui soutiendrait encore l'absurdité que quelque chose puisse naître du néant pour y retourner ?
Pas Sheldon Cooper, dans ce qu'il a de plus autiste, de plus indépendant, de plus personnel,
loin des labos où d'autres baisent ou font chauffer des nouilles bon marché au laser.
Dans sa signification allégorique, il n'y a rien de plus éloigné du labo du Dr Faust que le labo de Big Bang Theory.
Le premier montrait le côté tragique de l'humanité par son isolement; le second montre l'humanité par son côté comique.
Les Anciens évitaient toujours, dans l'art, de montrer des individus, parce que l'individu est toujours comique ou pathétique.
Le pathos de nos séries modernes, dont les 3/4 se déroulent dans des hôpitaux ou dans des lieux communs les feraient mourir de rire.
Ils préféraient encore montrer des masques, des allégories, et ainsi atteignaient à l'épique ou au tragique.
Note : il y a dans ce monde des gens qui ne peuvent pas concevoir
que l'explication du rapport à mon être
est identique à celle qui consiste à vouloir s'expliquer le dédoublement de la plus infime partie de l'univers.
Autrement dit, il existe une race d'individus qui ne conçoit pas l'identité du sujet et de l'objet.
Ils pullulent généralement dans le milieu universitaire, abdiquant leur soumission à l'Etat par la marque de son fer du titre de "PhD",
bien qu'ils soient en tout point des anti-philosophes.
A l'image des geeks de The Big Bang Theory, ils ont tellement mieux à faire que de résoudre les questions du lambda :
ils doivent d'abord épancher leur misère sexuelle.
Après quoi, après des échecs répétés, rabaissant les hautes prétentions de leur faibles capacités intellectuelles,
ils pourront enfin atteindre à la plus grande ambition qu'ils puissent se permettre : mener une "vie normale".
Le Nirvana, pour cette racaille, c'est la Fonction Publique d'Etat.
Ces gens-là "font du bien" aux déshérités de tout acabit : ils les réconcilient avec eux-mêmes.
Pour nous, qui n'avons pas tant de temps à perdre que les scientifiques les plus intelligents de la planète,
à réfléchir comment on joue à touche-pipi,
nous avons la prétention d'atteindre à des vérités qui renverraient au Moyen Age leur prétendu optimisme scientifique.
Il est de bon ton de leur rappeler qu'hors de leur petite province européenne,
le dieu chinois de l'agriculture est aussi celui des sciences pharmaceutiques et de la médecine,
indiquant par là-même de quelles qualités il est besoin pour exceller dans ces disciplines.
La science-fiction dans l'art fait l'apologie du réalisme de la pire espèce, la continuité du naturalisme,
du matérialisme qui empiète sur le terrain de l'art : tout y est objectivé.
Mais un goût supérieur se déchaînera contre toutes ces œuvres qui, en fait de culture esthétique,
ont lâchement recours à la science pour s'expliquer les contradictions et les paradoxes du matérialisme.
Si nos auteurs modernes avaient lu Kant ou Schopenhauer, quelles hauteurs auraient prises leurs œuvres,
combien elles seraient devenues inaccessibles aux débiles matérialistes modernes,
qui en auraient abandonnés la lecture, forcés qu'ils seraient de les comprendre pour les apprécier (la chose est en vérité impossible).
La vraie conclusion à laquelle les expérimentations sur le karma de Desty Nova devaient aboutir est donc la suivante :
"La liaison n’est pas dans les objets et ne peut pas leur être pour ainsi dire empruntée par la perception,
et reçue dans l’entendement en passant d’abord par celle-ci : elle n’est au contraire qu’une opération de l’entendement,
lequel n’est lui-même rien de plus que le pouvoir de lier a priori,
et d’inscrire le divers de représentations données sous l’unité de l’aperception
– c’est là le principe suprême de toute la connaissance humaine." (Kant)
Il aurait alors rejeté l'empirisme sans frein du savant fou, et cette prise de conscience l'aurait transcendé tout en le privant de raison.
Voyons maintenant quel sort je réserve au Docteur Doom.
Pour s'élever à l'art, il faut faire de lui un personnage tragique, un masque digne de la commedia dell arte,
l'archétype du Witch Doctor.
Ce que j'entends par Witch Doctor ? Plus que le guérisseur, le scientifique qui fait du Mal son problème.
Tout personnage symbolique de la fusion entre le mad scientist et l'evil genius rentre dans ce cadre.
Faust, Frankenstein, Desty Nova et le Dr.Doom sont des masques du Witch Doctor, plus ou moins aboutis, non de l'idéal européen,
mais de l'idéal prométhéen.
La légende prométhéenne est le sens tragique de l'humanité qui se révèle à notre conscience avec tout son cortège de monstruosités.
Prométhée donne à l'humanité non la connaissance, mais le feu du désir de connaître.
Le but de la race humaine est de s'assimiler 'le titanesque' pour ensuite tuer les dieux olympiens et parvenir à son émancipation.
Le Faust de Marlowe et de Goethe, par la science, s'efforce de s'assimiler le désir, les plus bas instincts, sous la forme de Méphisto.
Le Frankenstein de Shelley, est le premier scientifique à vouloir s'assimiler "le monstrueux".
Ce qu'il faut entendre par 'monstrueux' : renier la médecine moderne
(Frankenstein fait toujours référence à des savants de la Renaissance : Paracelse, Albert le Grand, Agrippa de Netesheim),
déterrer les cadavres, ressusciter les morts, dévier les forces naturelles, créer un être à partir des cadavres, ...
Toutes choses contre-nature.
Il y a plus qu'une histoire de monstre : Frankenstein a fait la douloureuse expérience qu'il ne peut y avoir dans une création
ce qui n'est pas déjà dans le créateur et que, fatalement, on ne peut jamais sortir de soi-même.
C'étaient des éléments de sa propre nature auxquels il donna un corps,
des impulsions qui s'agitaient si puissamment en lui qu'il devait nécessairement leur donner la vie.
L'identification avec le titanesque, le monstrueux, le surhumain.
Ce que j'appelle 'surhumain' est précisément cet idéal prométhéen dans un sens plus large et le plus problématique possible.
Pour Doom, le Mal prend la forme de ce besoin métaphysique, précisément parce qu'il est un physicien matérialiste.
Le Beyonder c'est l'au-delà. L'au-delà de quoi ? Réponse : de la réalité, de la causalité, de l'expérience, de la science.
C'est le désir dans l'humanité. Pour Doom : ce qu'il y a de plus insurmontable pour un savant, c'est le désir d'une métaphysique,
Faire du Mal son problème personnel devient pour Doom faire de l'au-Delà son problème.
Finalement, il s'agit pour le Dr.Doom d'assimiler le Beyonder.
Et c'est bien ce qui arrive, mais pas comme nous l'aurions souhaité
(il y a même eu un remake dans ce sens 'Emperor God Doom' mais il est moins bien construit que Secret Wars).
Un Doom supérieur devait néanmoins naître sur les débris de l'ancien.
Remarquez qu'à chaque montée en puissance, l'armure de Doom change d'apparence.
Le masque et l'armure sont des signes pour inspirer la crainte, incarner le pouvoir, ressentir la puissance
(même chose pour l'honneur chevaleresque : se faire craindre par sa force).
Ils traduisent un orgueil démesuré, une sacralisation de la personne, de son identité.
Désormais de son armure grise opaque, il fera le miroir le plus parfait qui reflète l'univers :
Par dessus tout, garde ton esprit aussi clair que la surface d'un miroir, qui emprunte la variété des couleurs des objets qu'il reflète.
~ Leonardo da VinciSa monomanie consiste à vouloir atteindre en faits et gestes, ce qui lui aurait suffit d'appréhender par la rêverie.
C'est en cela que j'affirme que ce personnage est opaque à l'art.
Doom avait le pouvoir de transformer matériellement le monde, non de le transfigurer.
Ceci est du domaine de l'art et il est l'anti-artiste par excellence.
Un comble pour ce monomaniaque de la Renaissance : il a complétement oublié de cultiver le sens de la beauté.
Comme pour Léonard de Vinci, son activité scientifique nuit à une culture de son goût artistique.
Son expérimentation est une sorte d'habitude.
Désormais, il s'expliquera le monde en partant de sa conception de l'au-delà, du
Beyonder, qu'il s'est assimilé,
expérience intellectuelle et raisonnée, et non plus du fatalisme, du destin, croyance dogmatique, d'où il a pris son nom.
Dieu parmi les Hommes, il sera l'incarnation parfaite de l'idéal prométhéen tel que les Faust du Moyen-Age et les Frankenstein du 19ème siècle européen le rêvaient.
Désormais, il ne vit plus pour connaître, il ne connaît plus pour conquérir : il vit pour contempler.
La plus grande différence entre l'ancien Doom et le nouveau est dans la nature même des choses qui le préoccupent :
le scientifique voulait voir les choses telles qu'elles sont, l'artiste éclaire l'incompréhensible.
Note : "si la philosophie a été si longtemps cherchée en vain,
c’est qu’on voulait la trouver par la voie de la science, et non par la voie de l’art." (Schopenhauer)
Une émancipation du Cyberpunk, de la Décharge, de Battle World, du
monde tamasiquene peut venir que d'une façon : c'est que ses habitants considèrent davantage la forme que la matière.
Alors ils verraient l'Art.
La religion, l'art, la philosophie sont des moyens de connaissance qui ont une seule et même origine.
Ils visent, non à modifier nos actes, mais notre interprétation du monde.
C'est dans le sentiment qu'est la signification du monde,
et cela est rendu plus clairement par le moyen de l'art que par aucun autre.
La connaissance est induite, non par le savoir, mais par le sentiment.
Voilà la grande vérité à côté de laquelle passent systématiquement ce genre de personnages.
L'idée du Beyonder est plus puissante que celle de la réalité, de la mort, du mal, ou de la magie :
c'est l'idée d'un au-delà métaphysique qui concentre en lui tous ces concepts.
Or, cette idée est si incompatible avec le personnage du Dr.Doom, que celui-ci, une fois assimilée, ne peut que se transcender.
Le Beyonder donne une dimension métaphysique au Dr.Doom, fait sur lui l'effet d'une émancipation.
Le Beyonder est pour Victor Von Doom la prise de conscience que son statut d'homme libre, affranchi de sa destinée,
est inconciliable avec ce qu'il est devenu en tant que Dr.Doom.
Victor von Doom a eu tout ce qu'il voulait par la volonté de sa mère, une sorcière qui a pactisé avec Méphisto;
et c'est en cela que le Beyonder, l'égoïsme, le désir de tout un chacun sur la
Dream Planet,
prend pour ce personnage un tournant unique dans l'histoire : au nom de la connaissance de la liberté, il doit nier son identité.
Il n'y a que chez Doom qu'un tel anéantissement de l'égo chute de la plus prodigieuse des hauteurs,
parce qu'il est le plus convaincu de son accomplissement, de sa valeur en tant qu'homme.
Quand il décide de se greffer le masque qui fera définitivement de lui aux yeux du monde le Dr.Doom,
il n'est pas encore affranchi des talents hérités de sa mère;
elle, qui a pactisé avec le Diable, lui, qui pactise avec la Science;
tous deux, ils ignorent la morale dans leur recherche de puissance.
Note : il est tout à fait remarquable que dans le cross over, ses talents de magie hérités de sa mère n'ont jamais été abordés.
C'est que les Américains pensent comme A. C. Clarke sur le sujet :
"Any sufficiently advanced technology is indistinguishable from magic."
~ ... Et vous ?
Mais face au Beyonder, il en va autrement : là, il est lui-même.
Il est tel Empédocle face au volcan dans lequel il va se précipiter ;
tel Démocrite à l'instant où il se crève les yeux pour ne plus se laisser duper par le monde extérieur ;
tel Héraclite s'enduisant de boue pour se laisser crever.
Ce n'était rien pour Œdipe de résoudre l'énigme de la Sphinx,
c'est autre chose quand il s'agit de prendre conscience d'avoir assassiné son père et violé sa mère.
Le Beyonder est pour Victor Von Doom la connaissance absolue : "Fais-moi connaître mon anéantissement de l'extérieur !"
Le voici désormais, le véritable Doom : le visage atrocement mutilé,
l'honneur et l'armure pulvérisés à tout jamais, errant nu dans le désert,
à moitié fou, simplement vêtu de sa cape déchirée, un rictus aux lèvres, il est "celui qui sait",
réunissant en lui le Chevalier, le Diable et la Mort d'Albrecht Dürer.
(
https://www.youtube.com/watch?v=C1UjmS1Yzps)