Bien, puisqu'on me somme de m'expliquer, je vais notamment dire que lorsque j'ai découvert L'aventure, l'ennui, le sérieux|, il était déjà en rupture de stock et plus édité. Je ne serai pas surpris d'apprendre qu'il l'était déjà avant que j'apprenne à lire, ce qui commence à dater malgré mon manque absolu de précocité.
Cela étant dit : Buffy. Sachez d'abord que je vous emmerde.
Le premier argument que je trouve à Buffy, c'est qu'on ne s'y emmerde pas. The Wire, c'est très bien, Treme aussi. Je n'évoque même pas Generation Kill ni Daredevil oui Sense 8 (cette dernière étant assez haute dans ma liste). Mais qu'est-ce qu'on se fait chier nom d'une pipe. Ce sont des séries que j'ai adoré, toutes, mais qui forcent, chacune, un traitement ou réaliste, ou documentaire, absolument rébarbatif à mes yeux. La réalité ne va pas vite, n'est pas tous les jours palpitantes et je comprends la volonté naturaliste ou réaliste derrière une œuvre pseudo-documentaire telle The Wire mais où est l'intérêt ? La misère sociale, je la vois tous les jours, sous des formes diverses. L'incurie des puissants et des pseudo-puissants, idem. Le monde m'emmerde tel qu'il l'est, je n'ai pas besoin qu'une série me le montre encore plus crument. Buffy évite cet écart en étant, dès le début, présentée comme une série fantaisiste. De sorte que chaque élément est pensé pour alimenter cette fantaisie. Les maquillages un peu dégueulasses, les effets spéciaux carrément nases (pas revu aussi nase depuis Agents of S.H.I.E.L.D.), certains moments totalement à la ramasse servent la série plus qu'autre chose, en accentuant la rupture entre le réel et l'univers fictif, là où les séries précitées passent leur temps à essayer de l'abolir. Et puis c'est cool, mince.
Au-delà de cette relative mauvaise foi, Buffy possède des qualités assez étonnantes. Je dois avouer que je ne l'ai vue, en entier, qu'il y a deux ou trois ans, en une ou deux semaines, parce que bon. Donc, c'est directement avec des yeux un peu déformés que je l'ai regardée.
L'écriture au long terme de Buffy défonce littéralement toutes les séries que j'ai pu voir. En termes d'évolution des personnages, des thématiques, des spectateurs, de l'univers ou de problématiques, la série atteint des sommets. Qu'on parle d'épisodes ou de saisons. L'épisode des Gentlemen qui se déroule dans un silence oppressant, l'autre avec le monstre qui dévore les yeux à l'hôpital, ou encore l'épisode chanté et dansé... Presque chaque épisode témoigne d'un soin particulier et développe une histoire qui relie les autres sans avoir l'air d'y toucher. Le silence affronte l'isolement de Buffy, l'hôpital sa faiblesse, la danse et le chant révèlent les vérités (coucou, Nietzsche). Bref, tout ceci est forgé précisément et précieusement. Pour les saisons, la saison 5 de Buffy est la meilleure jamais écrite. Elle reprend, détourne et parachève les codes de la tragédie grecque, de l'hubris au rachat par la chute. On assiste à une réécriture parfaite d'Oedipe, mais en plus mortel. Et avec des filles.
Et parlons-en, des filles. Je vous rebattrai pas les oreilles avec le caractère fondamentalement féministe de la série et son côté novateur mais, sérieusement : une adolescente de 16 ans qui tue des mecs de 128 avec des pieux qu'elle leur enfonce dans la chair, on peut difficilement faire plus évident. Bien entendu, cela va au-delà, en faisant de chaque personnage de pouvoir une femme (Buffy, Faith, Willow, Gloria, la prof' d'informatique, Anya, etc) et tous les hommes de faibles adjuvants ou ennemis qui ne savent pas très bien où se ranger. Mieux encore : dès que Faith perd son autonomie et agit soumise au maire, elle perd sa force, son indépendance et perd tout court. La relation entre Buffy et Spike, parodie parfaite de la précédente avec Angel, passe par tous les stades, du mal nécessaire jusqu'à la sublimation. Je n'aurais pas de mots pour la décrire tellement elle sonne juste, elle tombe bien.
Les autres thèmes de Buffy, la dualité, la réalité et comment la voir, la lire, l'affronter, le combat, les relations à deux, l'apprentissage, comment grandir, etc, sont tout aussi bien traités, menés avec une délicatesse et une pertinence rare, dans un univers pourtant totalement déconnecté du réel.
C'est sans doute-là ce que je trouve de plus beau et de plus intéressant dans cette série : elle arrive, malgré une rupture toujours affirmée, développée, revendiquée et appuyée avec la réalité (à l'opposé du programme réaliste et naturaliste), à dépeindre celle-ci avec une finesse et une pertinence appréciable. En ce sens, Buffy se rapproche des grandes œuvres de la littérature, de la peinture, de la musique, de tous les arts, en somme, qui nous parlent, qui parlent de nous et qui parlent en nous sans jamais nous montrer vraiment. Loin de tout voyeurisme à la petite semaine, de toute tentation biographique vulgaire, elles assument leurs univers, leurs particularités sans jamais les fuir. Et nous, spectateurs, dans tout cela, nous nous trouvons. Et nous en sortons grandis parce qu'on nous a montré une voie intéressante.
Bref. Je vous emmerde.
_________________ "All the world's a stage. And all the men and women merely players."
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