Tristlune a écrit:
L'expression Renaissance désigne en Occident la redécouverte des textes de l'antiquité et le boom des sciences, de la philosophie, de la littérature et de l'art qui en résulte (le tout dans un contexte favorable avec la découverte des amériques qui améne des capitaux, et la fin de la guerre de 100 ans et de la reconquista espagnole qui apportent une relative stabilité, sans oublier l'invention de la presse à imprimer, qui arrive à point nommé pour propager les écrits antiques et les nouvelles idées qui émergent alors).
Du coup, je ne suis pas certain qu'on puisse parler de Musashi comme symbole de la Renaissance japonaise. Mais bon, pourquoi pas...
Ce que tu cites comme arguments sont des exemples, des conséquences; pas des causes.
L'Italie du
haut Moyen-Age tardif traversait une crise morale : la Renaissance signifie qu'on s'est affranchi du dogme chrétien.
Il y a aussi des régions dans le monde qui n'ont pas connu de Renaissance.
En terme de valeur, l'homme de la Renaissance est supérieur à l'homme moderne :
Essaie un peu de te comparer à Léonard de Vinci, Michel-Ange, César Borgia pour voir.
Les Japs procèdent de même, ils estiment que du temps de Musashi on vivait plus dur qu'à notre époque.
Musashi est le symbole de la Renaissance japonaise dans le sens où Itagaki en parle comme s'il appartenait à une époque considérée comme supérieure à la nôtre, le Musashi d'Itagaki symbolise cette époque avec ses vertus et par conséquent notre époque perd de son sens face à la Renaissance (la perplexité de Baki).
Tristlune a écrit:
Par rapport à tes questions, je ne pense vraiment pas que l'auteur se les pose. Je pense surtout qu'il se contente de raconter une histoire qui lui plait, sans trop se poser de questions (tout comme il ne se prend pas la tête avec la crédibilité scientique qu'il a jeté aux horties depuis longtemps
)
Je ne sais pas pourquoi quand je lis ça je me dis : "encore un bouffon qui va jouer à l'expert".
Tristlune a écrit:
Je n'ai pas l'impression que l'auteur cherche à inciter le lecteur a ressembler à Musashi. C'est peut-être mon filtre occidental qui brouille mon jugement, mais j'ai au contraire l'impression que l'auteur décrit sa version de musashi plutôt comme un connard, qui prend un certain plaisir à tuer ou mutiler (il y a l'épisode, traduit récemment, ou il fend le casque et le crane de quelqu'un juste pour faire une expérience). Enfin, ce n'est pas simple de juger ce personnage, car les valeurs et le mode de pensée sont trop différents (ça revient à juger une peuplade "primitive" qui pratique le mariage à partir de 9/10 ans, à l'aune de nos valeurs issues de la morale judeo-chrétienne). Quoiqu'il en soit, pour le lecteur lambda, je ne vois rien de séduisant dans le personnage de Musashi, qui pousserait à vouloir lui ressembler. Il ne constitue pas un idéal, à mon sens.
pacboy est sur la même longueur d'onde.
J'ai discuté avec un japonais de 25ans dans une Auberge de Jeunesse et il aime bien ce Musashi là, il considère même qu'il est impossible que Yujiro soit plus fort que lui...
Mais c'est peut-être une exception.
Tristlune a écrit:
Pour les grapplers, ce peut être différent. Eux réfléchissent en terme d'efficacité martiale. Musashi est un monstre, qu'ils peuvent admirer et dont ils peuvent vouloir atteindre le niveau et surpasser. Mais pour ces grapplers de fiction, ce sera l'auteur qui décidera s'ils doivent ressembler à Musashi et suivre sa voie, ou suivre une voie plus personnelle. Pour dire les choses autrement, si Baki finit par vaincre Musashi, c'est qu'il n'aura pas besoin de suivre la voie de celui-ci.
La voie de Baki c'est d'abord celle de Musashi : 'Médiocre est l'élève qui ne dépasse son maître' (LdV)
Tristlune a écrit:
Attention, on ne peut pas répondre à la question que tu te poses au sujet du Musashi du manga Baki-Dou en se basant sur le Traité des 5 Roues.
Pourquoi? Parce que le Musashi historique, auteur du traité et le Musashi de Baki sont très différents. Le Musashi de Baki est un jouisseur, il semble aimer la bonne nourriture, la boisson, et les richesses. Le Musashi historique est en opposition compléte à cela, comme il l'a écrit dans son Dokkodo (
https://fr.wikipedia.org/wiki/Miyamoto_Musashi#Dokk.C5.8Dd.C5.8D).
"Eviter de rechercher les plaisirs du corps", "n'être jamais cupide durant toute sa vie", "N'éprouver aucune rancune ou animosité vis-à-vis de soi ou des autres" (Motobe
), "Ne jamais rechercher son confort", "Ne jamais rechercher les mets les plus fins afin de contenter son corps"... On est à cent lieues du Musashi d'Itagaki, amha
Les budoka modernes sont nombreux à vouloir ressembler au Musashi historique. Certains le font même, dans une certaine mesure (il me vient en tête l'exemple de Mas Oyama, qui a vécu en ermite pendant un bon moment pour se concentrer sur son entrainement, mais il y en a sans doute d'autres qui suivent le Dokkodo).
C'est peut-être le pire contre-sens des lecteurs toutes générations confondues, romantiques japonais du 18ème comme français du 21ème.
Itagaki a surenchéri sur cette façon de voir un noble de naissance devenir ascète bouddhiste pour accéder à la perfection.
La voie ascétique comme privation de toutes sortes afin d'émanciper sa personnalité est une idée moderne qui n'appartient pas au temps de Musashi.Ce qui motive l'artiste c'est la puissance qu'exprime la grâce.
Par conséquent, ce qu'on a traduit comme une voie à suivre difficile (pour nous!) était chez lui quelque chose de naturel.
Il n'était pas libre de choisir 'une voie', encore moins 'sa voie'.
Il faut relire tout le Traité comme une chronique et remplacer ce qui a été traduit par 'loi de moralisation' par simple état de fait.
Musashi n'est pas un guide spirituel qui a écrit les canons d'une bonne conduite pour débiles modernes.
En revanche, il a certainement réinterprété toute sa vie guerrière passée selon des critères moraux.Tristlune a écrit:
Toutefois, l'appellation de "génie" est peut-être usurpée. Musashi avait-il vraiment des prédispositions naturelles qui le plaçaient d'emblée au dessus du commun des mortels à la façon d'un Mozart qui dirigeait un orchestre à 4 ans? Sans doute pas. Les récits lui prête une force physique peu commune, et il avait sans doute une acuité d'esprit de haut niveau, mais sa suprémacie à l'escrime est généralement attribuée à 3 éléments, profondément entrelacés:
- il s'est entrainé (seul) comme un forcené pendant des années
- s'étant entrainé seul, il n'est pas rentré dans un "moule", ce qui lui a donné un avantage face à des adversaires issus de styles conventionnels
- il a fait preuve d'une approche stratégique habile lors de ses combats (sans réduire l'importance de ce paramétre, il convient de ne pas l'accroitre sans raison non plus. Même agacé par le (long) retard de Musashi à leur duel, un Sasaki Kojiro impatient reste un redoutable combattant)
La logique moderne dans toute sa splendeur.
On ne devrait pas utiliser le mot 'génie' tant qu'on a pas précisé les conditions historiques de sa naissance.
Tout ce baratin pour au final écrire ça :
Tristlune a écrit:
Dans tous les cas, avec un palmarès pareil, je ne comprends pas qu'on puisse dire que Musashi était un samouraï banal.
En terme d'efficacité martiale, il était et reste un modèle à suivre.
Il n'y a pas de modèle à suivre.
Ni toi ni ton entraînement ne créent de facultés nouvelles.
Le mot 'efficacité' dans la bouche de Musashi t'aurait sans doute bien fait rire, idem pour sa notion de 'stratégie' qu'il ne conçoit même pas sans ses 2 armes...
Tristlune a écrit:
Et bien, si on en croit les récits, il s'est entrainé et a pratiqué d'autres formes d'arts (notamment la peinture et la calligraphie). Il s'est aussi beaucoup instruit. Le roman "La Parfaite Lumière" lui prête quelques années à cultiver un champ, façon pour lui d'affronter la nature pour la domestiquer. Mais je ne suis pas en mesure de dire si cette partie là du roman repose sur des faits ou est entiérement fictive.
Plus prosaiquement: un boxeur professionnel fait-il plus de 4 ou 5 matchs officiels par an? Je ne crois pas. Le reste du temps, il se remet du combat précédent, s'entraine, et se prépare au match suivant. Je ne vois donc rien de choquant à une moyenne de 4 duels par an. Au contraire, c'est même plutôt remarquable, étant donné le risque de blessures sérieuses encouru.
J'aimerais beaucoup que l'on cesse de comparer sa réalité avec celle de Musashi : c'est insultant pour les gens de son époque.
Quand au fait de domestiquer la nature par l'agriculture il y a tout un tas de jobs en Australie qui t'attendent cet été pour la mettre en pratique. Bon courage.
Tristlune a écrit:
Encore une fois, l'absence de preuve n'est pas preuve d'absence.
Les jeux de mots à la française en vue d'appuyer l'objectivité, le scepticisme, le délicat 'tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien'. Crève donc, Socrate.
Quand la force de l'idéalisme est à son plus haut niveau, je conclus positivement à l'absence de preuves tangibles.
Tristlune a écrit:
Quant au Traité des 5 roues, lui, il a fait la preuve de sa pertinence par le fait qu'encore aujourd'hui, il est étudié par les militaires et les experts en stratégie d'entreprise.
Son premier chapitre par exemple, De la Terre, a une section consacrée aux rythmes et aux distances. Toute personne ayant pratiqué un peu les arts martiaux comprendra l'importance de ces notions sur le plan de l'affrontement individuel. Mais il est facile de les extrapoler au contexte d'un affrontement entre deux armées qui font mouvement et jouent d'offensives et de contre offensives. Tout comme ces notions peuvent être extrapolées à la stratégie d'entreprise.
Dès lors, à moins qu'il ait pris un négre pour écrire son livre, on peut s'entendre pour reconnaitre à Musashi des compétences très solides en stratégie. Pour moi, si un traité de stratégie est toujours étudié et pertinant des siècles après son écriture, c'est que son auteur maitrisait un minimum son sujet (bonjour Sun Zi).
C'est le moment que je préfère : celui où l'interprète médiocre atteint ses limites et révèle que sa pensée ne va jamais plus loin que celle qu'il a lu.
"Les autres l'ont dit donc c'est vrai, ça a duré donc c'est vrai, les experts l'ont validé donc c'est vrai..."
Dis-moi Tristlune, quel-effet te fait une phrase comme celle-ci :
Réfléchir longuement sur les usages n'a jamais rien fait d'autre que d'en renforcer le sens.Ou peut-être faut-il t'expliquer comment naissent les religions ?
Tous les arguments de Tristlune sont les mêmes qu'on lit depuis des siècles sur le sujet sans que jamais une idée nouvelle ne voit le jour.
Il essayait peut-être de nous persuader qu'il en savait un peu plus long sur le sujet parce qu'il était plus rationnel qu'on l'était au temps de Musashi ?
Nous (le nous royal) aimerions donner une toute autre indication sur la façon dont il faut traiter le problème de Musashi :
- le besoin de croire en un super-héros national
- la croyance en une perfection atteinte au prix d'un entraînement rigoureux
- le sentiment supérieur d'accomplissement de soi
Voilà en filigrane ce qui n'a pas été évoqué par Tristlune malgré toute sa bonne volonté.