Walk down that glory road
Don't you turn back
All the things you've left behind
Are painted black
~ Ode to the WindEpisode V : Witchcraft
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https://www.youtube.com/watch?v=RFeZyEi3Sq8)
~*~
Séducteurs. Menteurs. Manipulateurs. Cruels.
Aristide se sentait salement trahit par celui qu'il avait le plus appris à respecter.
Et l'amertume de ses sentiments renvoyait l'historien aux longues études qu'il avait consacré à ces êtres si impeccables : les Elfes.
Oui, il se souvenait, mais il ne parvenait pas à accepter la dure réalité.
Et pourtant, il aurait dû savoir. Il aurait dû voir. Il aurait dû lire en lui comme à travers son regard acéré.
Mais quel être humain normal en serait capable ?
"C'est la Lune qu'il aurait fallu regarder", lui avait-il murmuré une fois, sur cette plage immense, cachée par la dune.
Il s'apercevait aujourd'hui, après toutes ces années, bien tard, trop tard, qu'il ne le connaissait pas, qu'il ne le connaîtrait jamais.
Sa façon de s'exprimer, si souvent traduite par "pédanterie" par ses pairs de l'Université,
détournait l'attention de lui sur la forme, détournait l'attention de son sentiment à son savoir-faire.
Calculée, donc.
Son problème ? Croire en lui et s'affirmer.
C'est qu'il craint d'être grand.
Aussi se définissait-il : "Lâche, imposteur, dilettante, dandy... Et brillant."
Et c'est cela qui lui avait tout de suite plu, dès le tout début : la justesse au-delà de la forme, la sobriété au-delà de l'élégance, l'être au-delà de ses contradictions.
A la vérité, Celimbrimbor ne pouvait pas souffrir l'éloquence, lorsqu'il s'agissait d'instruire.
Il y avait là une captation qui lui paraissait une infidélité pour la chose, une bassesse pour qui l'emploie, un mépris pour qui la subit.
Ce qui lui était le plus antipathique dans le métier ? L'adresse, le calcul oratoire, la rhétorique, les trucs pour se valoriser, les condiments.
Et c'est ce côté sincère, honnête jusqu'à l'extrême, cette volonté de l'objectif, qui l'avait séduit, lui, l'historien.
Mais tout ceci est si paradoxal.
"Veux-tu te raidir dans ta méthode personnelle ou faire des concessions ?", lui avait-il demandé un jour.
Une pause. Un sourire. Puis, une réponse. Laconique, comme toujours.
- Ah. Un dilemme.
Sortir avec les honneurs du guerrier, et non comme un fuyard ?
Impasse. Humiliation. Mauvaise humeur. Horreur de penser à l'avenir.
Deux issues : planter là une carrière stérile et ingrate,
ou considérer la place comme une pension de retraite, et travailler, en attendant, à mes publications littéraires.
Et voilà comment Celimbrimbor avait définitivement envisagé toute la question de sa carrière universitaire.
Mais il serait injuste de ne voir en lui qu'un enseignant.
Sa magie elfique consistait à piéger l'entendement de son interlocuteur par un mobile qu'il s'impose de lui-même,
à partir duquel il s'explique un effet sensoriel, et qu'il ne peut combattre par le raisonnement.
"Un simple tour de magie", aimait-il à répéter en souriant.
Si l'on devait prendre des équivalents humains,
nous pourrions citer le magnétisé qui attribue une sensation de chaleur à la main du magnétiseur.
Ou encore, le tour de la table volante qui piège l'esprit à partir d'une sensation tactile.
Les yeux bandés, l'esprit doit alors, pour s'expliquer logiquement d'où vient cette sensation, se forcer à croire à un feu d'origine inconnue ou à une table qui lévite.
Entre autres faits d'armes, il lui avait narré de nombreuses histoires épiques.
Comment il avait dupé les puissants dragons en leur faisant miroiter une attaque vers leurs oeufs.
Sentant l'avenir générationnel compromis, ceux-ci lui avaient alors remis le Feu.
Pas une flamme ou un feu de cheminée. Non. Le feu primordial. L'élémental.
Et Celimbrimbor n'avait même pas eu à se battre.
La ruse, déjà.
Il avait soumis de fiers marins afin qu'ils traversent pour son compte les océans.
"La vérité est souvent le meilleur mensonge", aimait-il à ironiser.
Et il avait obtenu des anciens ondins la sphère de l'Eau.
La ruse, encore.
Celimbrimbor était aussi un maître ès-arts martiaux.
A utiliser de préférence contre les druides et autres magiciens,
dont les attaques les plus redoutables sont celles qui se lancent à distance.
C'est ainsi qu'il avait vaincu Jan le druide qui avait sacrifié aux dryades en échange de ses pouvoirs.
Et Celimbrimbor avait vaincu, arrachant à la Nature l'élémental de la Terre.
La ruse, souvent.
Bref, c'était un être accompli.
Et un ami de valeur.
Du moins, c'est ce qu'Aristide avait toujours pensé.
La ruse, toujours.
"
This too shall pass."
Tout passe, tout est sous l'égide du Temps. Tout.
Sauf ? La forme, la structure, la dimension, l'Espace.
Bien que ce point de vue soit davantage celui de l'esthète que celui du métaphysicien,
Celimbrimbor est superficiel par profondeur, tel est son paradoxe.
Celim est, avec tout ce que ça implique.
Se souvenir des belles choses.
L'imagination.
Une dernière échappatoire.
Une dernière fois.
Une dernière influence, -ou un dernier truc, peut-être, de Celim'.
Séducteurs. Menteurs. Manipulateurs. Cruels.
~**~
(
https://www.youtube.com/watch?v=ClEBPT9pIi4)
Once upon a time ...Ainsi commencent tous les contes de fées.
Indiquant par là que l'histoire qui va suivre n'est arrivée qu'une seule fois, et ne se reproduira plus jamais.
Pour subvenir à ses besoins et ne plus encombrer ses parents de sa présence, l'apprenti avait décidé d'emménager chez le vieil homme.
Il lui apprendrait l'art millénaire d'enchanter les métaux, et, qui sait, peut-être deviendrait-il l'un de ces preux chevaliers dont il admirait tant les prouesses.
Pour l'instant, il n'était qu'un jeune forgeron, de la caste des artisans, mais il croyait en ses rêves d'aventures et, en attendant "ce jour", travaillait dur.
Chaque matin, dès le lever du soleil, il répétait inlassablement les mêmes gestes en vue de perfectionner son art.
Un beau jour qu'il ne se sentait pas le coeur à l'ouvrage, son maître lui raconta une histoire.
L'histoire d'une sorcière maudite par tout le village, et qui vivait recluse dans un lointain donjon gardé par un immense dragon.
Le donjon était visible depuis la cime de la colline, quand les nuages se dissipaient en même temps que la rosée du matin.
Après avoir abordé son explication de manière rationnelle et néanmoins passionnante,
le vieil homme marqua une pause, comme s'il allait reprendre son souffle.
Absorbé par ce qu'il venait d'entendre, l'apprenti essayait de puiser dans ses souvenirs ce qui pouvait l'aider à mieux comprendre.
Ah ! Il rageait d'être aussi inculte ! Que son éducation et son expérience étaient pauvres et insuffisantes !
"Bon !", fit le vieil homme, et il se leva pour aller chercher quelque chose derrière son atelier.
C'était une vieille boîte rectangulaire en bois, un peu poussiéreuse, mais parfaitement conservée.
Il souleva la petite planche du dessus qui faisait office de couvercle : l'on pouvait apercevoir des ficelles tendues comme des cordes très fines.
Il pinça les ficelles une à une et il commença à en sortir une mélodie... L'apprenti n'avait jamais vu ni entendu un tel instrument de musique !
Que de mélancolie dans cet air si lent et si enjoué à la fois.
Comme il avait dû aimer, ce charmant vieillard, et du temps où il aimait - seulement du temps où il pouvait encore aimer...
Cette musique faisait l'effet d'une âme langoureuse d'un adolescent.
"Bon !", reprît le vieil homme,et il cessa de pincer les cordes, tout en refermant la boîte, tirant le jeune apprenti de sa douce rêverie.
< Là. Il est là. Mon brave petit canif. Lentement, l'extirper de ma poche. Calmement, respirer. Discrètement, trancher les liens...>
Le crépuscule arrivait seulement et l'on pouvait déjà entendre les loups hurler au loin.
Le ciel se couvrait de nuages sombres et épais.
Les herbes folles et les arbres aux troncs sinueux semblaient souffrir de ce paysage désenchanté, qui avait été autrefois si féérique.
Le vent soufflait en direction des loups, vers les collines : ils savaient.
Le chien, qui était auparavant si courageux, debout sur ses quatre pattes et à l'affût, fît une halte, et se coucha sur le ventre : c'en était trop pour lui.
Saisi par la peur, il regardait l'apprenti de ses yeux humides, presque implorant une quelconque miséricorde.
Il voulait rentrer.
L'apprenti, lui aussi, avait peur, mais en lui, quelque chose de plus fort le poussait à aller de l'avant, toujours plus loin.
Oui, même vers ces fauves assoiffées de sang s'il le faut !
Il se tourna vers son fidèle compagnon, blessé dans son ardeur au combat, le prît dans ses bras.
A cet instant, il ressentît de la pitié, et que pouvait-il faire d'autre, que de l'aimer ?
De l'aimer de tout son coeur, pour lui donner cette chaleur humaine qui réconforte les âmes.
Une pensée le surprît : "Mais à la fin, s'il est loyal, qu'est ce que le danger peut bien lui faire ?
Qu'il me suive dans la lutte et même jusqu'à la mort.... Comme un ami, comme un frère !"
Et l'apprenti se releva, décidé, et abandonna là le chien sans penser ni à sa peur ni à sa pitié.
<Là. Imperceptiblement. Déplacer les forces en présence. Reprendre le contrôle de la situation.>
Arrivé dans le donjon avec une facilité déconcertante, brandissant sa lame enchantée dans ses poings serrés, l'apprenti tremblait d'excitation.
Le dragon s'était révélé une illusion, le donjon récélait une immense bibliothèque de livres anciens encastrés dans ses murs,
et la sorcière était finalement une belle jeune femme aux yeux verts et aux cheveux d'argent.
De sa vie, il n'avait jamais vu pareille créature.
Il était ensorcelé.
Créature à l'hyper-suggestibilité morbide, son visage semblait dessiner des expressions dansant dans les airs.
Humblement regardant par terre, d'un air sage et sérieux. Puis, le regardant bien en face, d'un air provoquant, commençait à esquisser un sourire.
Mettant la tête un peu de côté, au 3/4, avec un sourire accentué.
Ses yeux sombraient alors dans le vague avec mélancolie, alors qu'elle essayait de se ressaisir, victime de ses émotions.
Un petite moue rapidement suivie d'un air dédaigneux, puis, un air tendre, les yeux en l'air.
Soudain, elle éclate de rire, balance la tête de côté; pour enfin, d'un geste vif de la main,
écarter le tas de serpents venimeux et noueux qui était amoncelé sur le sol, dévoilant ses intentions non menaçantes.
Tout ceci se produisant en moins d'une minute.
<Courir. La grande épée sur le mur. Saisir. Frapper le premier. Ne pas réfléchir. Frapper fort et frapper vite. Trancher dans la masse.>
Utilisant son épée enchantée de toutes ses forces, il avait défoncé le crâne de la sorcière.
Il s'était bien amusé : elle n'était plus qu'un pantomine d'humanité.
Elle souriait d'un sourire ensanglantée, une partie du crâne et la mâchoire arrachées.
Lui aussi, souriait : l'enfant innocent en lui était définitivement mort.
C'était un homme à présent.
Un preux chevalier.
Il exultait.
Jamais il ne s'était senti aussi heureux, aussi libre.
Il regarda par la meurtrière du donjon.
Son village était en flammes.
Lentement, derrière lui, le pantomime d'humanité se redressa.
Douce, suave, morbide.
Trop lentement pour les rythmes normaux d'un être humain vivant.
D'un ironique sourire édenté et ensanglanté, la caricature de la si belle sorcière chuchota :
Par-delà les arbres noirs, les cieux était en feu, et les constructions humaines magnifiées d'un éclat ocre comme si elles étaient d'or...~ Epilogue ~
...Et nous survolerons ensemble ces cités vêtues de flammes.Les paroles glissèrent des lèvres qui ne mouvent pas, vives et acérées.
Simultanément, l'arme lui tomba des mains.
Genoux à terre, dans un bain de sang qui était le sien, Aristide s'était mortellement blessé.
De lui-même, victime d'une illusion maléfique, il s'était violemment ouvert le ventre.
Il s'en est fallu de peu qu'il ne se trépana de lui-même.
Les "invités au festin", plein de vampires, de morts-vivants et de ghoules souriaient, gloussaient et ricanaient méchamment,
rassemblés autour de lui et avaient plutôt bien apprécié le spectacle.
La nuée rouge, insignifiante, plongeait ses yeux glacés cachés par des hublots froids dans ceux à demi-morts d'Aristide.
"Une dernière parole, peut-être ?" ironisa le sinistre D. dans un sourire de vampire grimaçant.
- "...La beauté... Sauvera le monde", répondit Aristide, avec tout l'effort dont il pouvait encore être capable.
.
.
.
Soudain, un bruit d'échappement se fît entendre.
De plus en plus fort.
Un sifflement de plus en plus aigu.
La lourde porte d'entrée en bois massif explosa d'un seul coup, entièrement vaporisée.
Le visage entièrement recouvert par un capuchon blanc, Celimbrimbor entra.
Magnifique dans son capuchon médiéval blanc, sobre.
Il souriait d'un sourire de félin prédateur.
Moment si singulier s'il en fût, pourtant pas le seul,
car bien malin aurait pu apercevoir dans l'intervalle,
au capuchon blanc répondre le capuchon rouge,
et deux sourires antagonistes, mais pourtant si semblables se croiser comme deux lames aiguisées ardentes à croiser le fer.
Séducteurs. Menteurs. Manipulateurs. Cruels.
~ To be continued...
(
https://www.youtube.com/watch?v=KfE8ABgJ2jA)