Voici un article de Dvdrama qui est plutôt bien fait et une bonne mise en bouche pour ceux qui veulent voir le film mais n'ont pas lu le manga.
20th Century Boys : Quelques clésA plusieurs égards, la sortie sur nos écrans du premier volet de 20th Century Boys (le 14 janvier) constitue un véritable petit événement. Déjà, il s'agit bien sûr de l'adaptation de ce que l'on peut appeler un manga culte, un vrai, fruit de l'esprit génial de Naoki Urasawa qui nous régala par le passé avec son labyrinthique Monster, ce qui rend ce film indispensable sans même avoir à y réfléchir. Plus encore, et à la différence de nombreux mangas adaptés sur grand écran jusque-là, 20th Century Boys possède une valeur cinématographique indéniable, il est pensé comme un film couché sur le papier. Une caractéristique qui rend alors sa transition en long-métrage plus simple, plus logique, plus efficace, et cela même si l'entreprise s'avère tout bonnement monumentale. Car tous ceux qui connaissent les tenants et aboutissants de ce chef d'oeuvre de la bande-dessinée japonaise savent combien son intrigue est riche et audacieuse, s'étalant sur près d'une cinquantaine d'années et convoquant à de très nombreuses thématiques, tout en se jouant même des codes du genre dans lequel elle s'inscrit. La trilogie prévue pour l'adaptation sur grand écran et son énorme budget ne seront ainsi pas de trop pour retranscrire ce foisonnement et, même si ses auteurs reconnaissent à regret ne pas avoir pu tout faire tenir en à peu près sept heures de métrage, il nous semblait intéressant de nous entretenir avec vous sur certains éléments primordiaux de cette histoire-fleuve. Pour rendre sa compréhension plus aisée au profane qui serait tenté de se lancer sur la trace de Ami aux côtés de Kenji et ses amis, bien sûr, mais aussi et tout simplement pour revenir un peu sur la diabolique et excitante complexité d'une oeuvre à inscrire au rang des monuments artistiques.

Commençons par le commencement et voyons donc sur l'histoire de 20th Century Boys, qui n'a pas fini de hanter vos esprits. Tout débute ainsi en 1969 quand une bande de gamins passent un été apparemment comme les autres, entre jeux, découverte de soi et du monde qui les entoure,... Pourtant, lorsque l'un d'entre eux a l'idée de faire un cahier de prédictions racontant comment, dans le futur, ils deviendront des héros sauvant le monde d'une terrible menace, ils sont loin de se douter qu'ils viennent d'enclencher un mécanisme qui va totalement leur échapper.
1997. Kenji, l'un de ces enfants, a la surprise de voir un jour réapparaître dans sa vie monotone des signes qui lui semblent familiers, des éléments de son passé qu'il avait oublié. Poussant son enquête plus loin, il découvre qu'une secte étrange dirigée par un certain Ami est en train de prendre de l'importance dans les différentes strates de la société japonaise. Mais cela n'est rien en comparaison de lorsqu'il comprend que le véritable but de cette organisation, et surtout de son leader, est d'éradiquer l'humanité, qui plus est en suivant scrupuleusement les prédictions couchées près de trente ans plus tôt sur papier par sa main.
Kenji n'a alors plus le choix et se doit de réunir tous ceux qui étaient au courant pour le cahier de prédictions. Neuf héros -ou presque- qui se dresseront pour empêcher la fin du monde, programmée pour le passage au 21ème siècle, et découvrir la véritable identité de cet Ami qui semble en savoir si long sur eux... Et ce n'est que le début de l'histoire, car il y a encore tout un futur à découvrir...
Complexité temporelle et narrativeLes choses pourraient sembler simples ainsi résumées, mais il faut savoir qu'une grosse part du travail narratif de Naoki Urasawa sur cette histoire va être d'éclater toute linéarité, de faire progresser son intrigue à base de flashbacks et flashforwards. Une façon de faire qu'il avait déjà expérimenté avec brio dans Monster mais qu'il ré-emploie ici de façon encore plus poussée, fondant la grande majorité de sa narration sur ces renvois temporels. C'est ici que les talents de conteur du mangaka font donc des miracles, dans cette façon élégante et efficace qu'il a de lier les époques entre elles, de leur donner du sens en les faisant se répondre entre elles. Ainsi, si les flashforwards vont bien créer du suspense, attiser notre curiosité en nous faisant nous demander comment on a pu en arriver à ce qui surgit subitement sous nos yeux, ce sont surtout les flashbacks qui vont être les plus signifiants dans la progression de l'intrigue. Parce que 20th Century Boys est une oeuvre essentiellement tournée vers le passé, parce qu'elle rend prédominante la question du souvenir en cela que c'est le seul moyen pour Kenji et les autres de découvrir ce qu'il se passe, qui est Ami et comment l'arrêter. Ses héros sont en effet des adultes ayant pour beaucoup oublié leurs souvenirs d'enfance et tout le jeu va alors être de recoller les pièces du puzzle à leurs côtés, de lever le voile sur un passé qui est la clé de toutes les énigmes. Vous verrez d'ailleurs que la fin de l'histoire est sur ce point particulièrement révélatrice, mettant en exergue le fait que le moindre acte, le moindre détail du passé peut avoir des conséquences sur le présent et dans l'avenir. La narration éclatée de Urasawa se révèle donc parfaite pour retranscrire cette idée de causalité, tissant au fur et à mesure un tableau à la logique implacable et dont surgira la vérité.
Le shônen mis à nuMalgré les apparences 20th Century Boys fait sans conteste possible parti de la catégorie des shonens, et pas uniquement parce que son titre original est 20-Seiki Shonen. Le terme "shonen" peut en effet être traduit par "garçon", ou plus exactement "adolescent", mais il désigne surtout en général les mangas destinés aux garçons entre 12 et 18 ans, plein de pouvoirs et de combats. Il est ainsi important de bien comprendre que le manga de Urasawa, et par conséquent le film de Yukihiko Tsutsumi, appartiennent à cette catégorie en dépit d'un contexte apparemment des plus réalistes et terre-à-terre. Déjà, pour ne pas être décontenancé face à certains gags du film, dans un registre directement hérité de ce genre et retranscrits tels quels, ce qui pourra en surprendre plus d'un. Mais aussi et surtout car c'est justement l'un des principaux propos de l'histoire, ces événements dignes du plus débridé des mangas et imaginés par des enfants sous l'influence de leurs lectures qui vont subitement se concrétiser dans la plus banale des réalités, poussant des gens du commun des mortels à se dresser contre une menace énorme et se révéler ainsi comme des héros, comme ils se l'étaient promis autrefois. On le voit, il s'agit donc bien ici de rouages narratifs directement empruntés au shonen, mais ce n'est en réalité qu'une base sur laquelle l'auteur va jouer pour mieux nous surprendre, nous manipuler par le biais de nos réflexes et attentes de lecteur/spectateur. Il va ainsi étayer une histoire qui retirera progressivement les "fioritures" du genre pour n'en garder que le coeur, et cela même encore lorsque nous nous retrouverons dans un contexte science-fictionnel. Parce que même si les illusions s'effacent petit à petit pour laisser place à une réalité bien concrète, la nature du combat en reste elle inchangée.
Le mal à l'état purShonen réaliste par excellence, 20th Century Boys a donc néanmoins besoin d'une figure diabolique forte, une ennemi auquel opposer ses héros. Et si le simple fait de nommer cet ennemi "Ami" participe encore d'une volonté évidente de jouer des schémas classiques du genre, celui-ci n'en demeure pas moins une menace qu'il ne faut surtout pas sous-estimer. Personnage d'autant plus complexe qu'il tient son identité secrète et reste toujours caché derrière un masque, sans compter que ses véritables motivations resteront secrètes jusqu'à la fin, il est aussi le fruit des réflexions de Naoki Urasawa sur des sujets comme le pouvoir, les moyens d'y accéder, la manipulation, la croyance et la religion, le tout dans un contexte qui reste toujours réaliste. Loin de la grosse brute qui assoit sa place par la force, Ami partage donc avec tous les figures historiques ayant fait le plus trembler notre monde cette même intelligence malsaine, ce même talent pour fasciner les foules et les soumettre à sa propre vile volonté. L'intrigue s'attachera ainsi véritablement à nous présenter la façon dont il va grimper les échelons au sein de la société, imposant au fur et à mesure son emprise sur ses rouages fragiles. Tout commence avec sa secte, creuset de ses plus fidèles adorateurs, fascinés par son aura et ses pouvoirs et prêts à tout pour satisfaire à ses volontés, puis se poursuivra avec la création du "Parti de l'Amitié" jusqu'à prendre des proportions inimaginables. Ainsi, même une fois devenu un véritable tyran, il continuera de se faire aimer -ou tout du moins accepter- du peuple en manipulant l'information, et donc les esprits. Il parvient alors à s'imposer à plusieurs reprises aux yeux du monde comme un héros puis, grâce à sa diabolique machination, comme un véritable Dieu, forçant par la même occasion ses ennemis à endosser le rôle des méchants. La véritable force de Ami est donc bien ce talent pour la manipulation qui se manifeste dans le mensonge sur lequel est bâti l'ensemble de son entreprise, cette façade amicale qu'il présente au monde et qui le fait paraître blanc comme l'agneau. Quand il s'agit en réalité, bien sûr, de la pire menace qu'ait jamais connu l'humanité, d'autant qu'elle peut agir en toute impunité.
Plus fort que la destruction, la créationSi Ami n'est donc que destruction, les personnages opposés à lui se doivent alors de suivre un chemin contraire à celui-ci (un certain manichéisme est toujours de mise dans le shonen) et cela recoupe justement une autre des thématiques primordiales de 20th Century Boys. Car tout au long de son oeuvre, Urasawa va en effet mettre en avant l'activité créatrice comme une chose indispensable et salutaire, la seule vraie force que l'on puisse opposer à quelqu'un n'ayant que l'éradication de l'espèce humaine en tête. Il n'est ainsi pas anodin que le réalisateur Yukihiko Tsutsumi ait décidé de commencer le premier film par une scène qui n'apparaît qu'un peu plus tard dans le manga, celle de la prison de la Luciole des Mers en 2015 où nous faisons la connaissance du mangaka Kakuta, enfermé ici en raison d'un manga qu'il a publié sur internet mais qui a été jugé impropre pour la jeunesse alors que rien ne laissait douter d'un tel contenu. Quand on connaît la teneur de son histoire néanmoins, on comprendra pourquoi Ami a fait interdire une telle oeuvre mais, dans la perpétuation qui est sienne des symboles des plus grands tyrans du 20ème siècle, il ira même plus loin en faisant interdire toute forme de création non-contrôlée par ses services. Parce que la création est une forme de prise de position, d'anticonformisme, de liberté, ce que ne peut tolérer un être manipulateur comme Ami. Kenji, sa guitare et son goût pour le rock pourront donc sembler des détails quelques peu accessoires dans la première partie que constitue ce film, quitte à ce que l'on se demande pourquoi insister dessus, mais il faut bien comprendre qu'il s'agit là d'une thématique primordiale de 20th Century Boys, qui sera traitée de façon sous-jacente tout du long jusqu'à devenir en toute fin la seule méthode pour lutter contre le pouvoir que représente le chef du Parti de l'Amitié.
Volonté du réelUne façon pacifiste de lutter contre l'oppresseur que Urasawa, en racontant une telle histoire, veut aussi nous faire apprécier en tant que moyen de ne pas laisser se reproduire les atrocités du passé. Très flower power dans l'âme, ce message n'en reste pas moins valable et, pour le rendre le plus efficace possible auprès de son public, le mangaka va alors situer son histoire dans un monde au plus près du nôtre. Pour que l'analogie se fasse de façon naturelle. Cela est notable par exemple dans la manière qu'a l'auteur de reconstituer la charnière entre les années 60 et 70, se servant de ses propres souvenirs d'enfance pour retranscrire toute l'excitation de cette époque (le réalisateur Yukihiko Tsutsumi a d'ailleurs en partie été choisi parce qu'il est né à la même époque et la connaît donc bien, entre les jeux d'enfants, l'attente fébrile de l'exposition universelle de 1970,...), ou bien encore dans sa propension à sans cesse faire référence à des éléments de la culture populaire. Rien que le titre, déjà, est ainsi repris d'une chanson du groupe de rock T-Rex, et on ne compte plus dans l'histoire les clins d'oeil que Urasawa fait à ses oeuvres ou à celles de ses confrères. Plus encore, cette inspiration du réel dans le récit va lui conférer un niveau de lecture en adéquation avec ses thématiques. Les attaques de Ami ont ainsi beau paraître des plus extravagantes, en tant que concrétisations du cahier des prédictions (un robot géant en plein Tokyo, quand même), vous verrez que les choses ne sont finalement pas toujours ce qu'elles semblent être et qu'il s'agit donc purement et simplement d'attaques terroristes. Quelques explosions et surtout le virus, dont les effets rappellent celui du virus Ebola, avec lequel il partage aussi une apparition sur le continent africain, mais dont l'utilisation par une secte religieuse dans la cité tokyoïte rappelle bien sûr l'attaque au gaz sarin perpétrée en 1995 par la secte Aum, dans le métro de la capitale japonaise. Un tissu de références réelles qui donne indéniablement à 20th Century Boys un impact tout autre, laissant au public l'impression que tout cela pourrait finir par arriver dans nos sociétés.
Flirter avec le FantastiqueMalgré cette presque omniprésence du réel dans 20th Century Boys dont nous venons de parler, il est aussi important de noter que le fantastique tient lui aussi une place non-négligeable dans le développement de son intrigue. Nous n'y reviendrons pas longtemps car le film semble avoir préféré éclipser cette thématique, mais il n'en reste pas moins que cette notion demeure malgré tout importante, surtout en ce qui concerne le personnage de Ami. Vous le verrez alors au cours de l'aventure, il semblerait bien que ce personnage possède quelques pouvoirs surnaturels, comme la faculté de léviter et de tordre des cuillères par l'esprit. Cela peut bien sûr être encore une de ses manipulations, mais il est tout du moins indéniable que cela va entourer l'énigme de son identité encore d'avantage de mystère et lui conférer, en plus, une aura dépassant le statut du simple humain. Avec ses pouvoirs, restant toujours caché derrière son masque, Ami devient ainsi une sorte d'idée, un concept. Une figure imposante portée aux nues par une foule fascinée, qui en fait sans se poser de question son nouveau messie puis, par la suite d'événements des plus douteusement miraculeux, un véritable Dieu venu sur Terre. La valeur du fantastique n'est donc pas à négliger dans la narration de 20th Century Boys, puisqu'elle est pour beaucoup ce qui explique l'accession au pouvoir d'un être tel que Ami, en plus de ses dons pour manipuler son prochain, et participe à l'élaboration de cette figure paraissant aussi insaisissable que surhumaine, parfaite en grand méchant d'un shonen où le Mal est toujours le plus fort au départ. Reste maintenant à savoir si les auteurs du film intégreront l'élément le plus fantastique de cette oeuvre-fleuve dans son second volet, ce qui ne semble pas vraiment être le cas pour l'instant. Mais au cas où, gardez ça dans un coin de votre esprit !

Nous voici donc arrivés au terme de ce voyage non-exhaustif dans quelques-unes des thématiques importantes de 20th Century Boys, oeuvre complexe s'il en est. Nous espérons alors que cela vous aura permis de commencer à en apprécier la richesse mais, surtout, que cela vous donnera envie d'en découvrir plus. Car il reste encore nombre de choses sur lesquelles lever le voile et, pour ceux que la lecture n'inspire pas tellement, le long-métrage qui sort ce 14 janvier dans nos salles se révèlera être une plongée parfaite dans l'une des histoires contemporaines les plus audacieuses vues jusqu'à présent. Alors levez-vous, car le monde n'attend plus que ses héros !
